samedi 24 septembre 2016

[Livre] Chanson douce de Leïla Slimani

Gallimard - Août 2016
240 pages
Date de sortie originale : 18 août 2016

Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari de reprendre son activité au sein d'un cabinet d'avocats, le couple se met à la recherche d'une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise, qui conquiert très vite l'affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu'au drame. A travers la description précise du jeune couple et celle du personnage fascinant et mystérieux de la nounou, c'est notre époque qui se révèle, avec sa conception de l'amour et de l'éducation, des rapports de domination et d'argent, des préjugés de classe ou de culture. Le style sec et tranchant de Leïla Slimani, où percent des éclats de poésie ténébreuse, instaure dès les premières pages un suspense envoûtant.
(Source : Gallimard)

16/20

Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin que les toutes premières lignes de Chanson douce pour comprendre que Leïla Slimani vient de glisser entre nos mains un roman qui sera sans concession. L'histoire s'ouvre en effet sur la mort brutale de deux jeunes enfants, assassinés par leur nourrice, laquelle étant dans le coma après avoir tenté, ensuite, de se suicider. On se retrouve donc dès  les premières pages face à un fait tragique, mais également face à l'incompréhension vis-à-vis de cet événement : la coupable ne pouvant expliquer son geste. Il ne reste donc plus qu'à remonter plusieurs mois en arrière pour comprendre comment un telle chose à bien pu arriver.

Passé le premier chapitre servant d'introduction à l'histoire, le roman se découpe en plusieurs chapitres suivant tour à tour les personnages gravitant (de près ou de loin) autour du tragique événement à venir. De Myriam, la mère, à Paul, le père, en passant évidemment par Louise la nourrice elle-même ou  par des témoins plus éloignés comme une voisine, l'histoire reconstitue peu à peu le cheminement des personnages ayant amenés à la tragédie finale.
« La mère était en état de choc. C’est ce qu’ont dit les pompiers, ce qu’ont répété les policiers, ce qu’ont écrit les journalistes. En entrant dans la chambre où gisaient ses enfants, elle a poussé un cri, un cri des profondeurs, un hurlement de louve. Les murs en ont tremblé. La nuit s’est abattue sur cette journée de mai. »
On suit avec un certain malaise la façon dont Louise devient de plus en plus présente et indispensable au couple de parents, la façon dont elle s’immisce dans leur petit microcosme familiale. En parallèle, on se sent aussi gêné par la réaction des parents, souvent à double tranchant, qui adorent Louise autant qu'elle les dérange et qui ne savent jamais vraiment trop comment s'y prendre avec celle-ci. La plume de Leïla Slimani nous entraîne très facilement dans cette spirale un peu malsaine qui finit par devenir totalement perturbante, surtout pour le lecteur qui sait qu'elle issue est à prévoir et qui ne peut que constater l'aveuglement des parents et la montée de la folie chez Louise.
«  On lui a toujours dit que les enfants n'étaient qu'un bonheur éphémère, une vision furtive, une impatience. Une éternelle métamorphose. Des visages ronds qui s'imprègnent de gravité sans qu'on s'en soit rendu compte. Alors toutes es fois qu'elle en a l'occasion, c'est derrière l'écran de son iPhone qu'elle regarde ses enfants qui sont, pour elle, le plus beau paysage du monde. »
S'il est vrai que le roman m'a d'abord attiré pour son histoire (à cause de cette curiosité un peu malsaine qui donne envie d'aller mettre son nez au cœur d'un fait divers aussi horrible), j'ai poursuivi ma lecture (et ai adoré la poursuivre) pour l'écriture de l'auteur qui se positionne de façon toujours très juste. Bien sûr, il est difficile de douter de la culpabilité de Louise, pourtant, elle n'est jamais vraiment présentée comme un monstre, on se prend même souvent de pitié à son égard (à défaut d'empathie). Le rythme de l'histoire est également très agréable à suivre grâce à l'écriture concise de l'auteur qui sait clairement où mener ses lecteurs.

De cette histoire sous forme de thriller qui se présente plus comme une tragédie que comme le procès d'un drame, je retiendrais surtout cette impression à double tranchant, celle d'être percutée tout en essayant, en parallèle de comprendre comment la société peut créer des situations si dramatiques. La mélodie de cette chanson douce aux consonances venimeuses me restera en tout cas longtemps dans la tête.




dimanche 11 septembre 2016

[Film] Juste la fin du monde de Xavier Dolan

Franco-canadien - 1h35
Date de sortie française : 21 septembre 2016
Avec : Vincent Cassel, Marion Cotillard, Gaspard Ulliel

Après douze ans d'absence, un écrivain retourne dans son village natal pour annoncer à sa famille sa mort prochaine. Ce sont les retrouvailles avec le cercle familial où l'on se dit l'amour que l'on se porte à travers les éternelles querelles, et où l'on dit malgré nous les rancoeurs qui parlent au nom du doute et de la solitude. 
(Source : Allociné)


17/20

Les lumières s'éteignent, le film débute. Scène d'introduction : le ton est immédiatement donné, nous voilà embarqué dans cette entrée en matière qui intrigue, fascine déjà et rappelle aux gens, s'ils l'avaient oublié, pourquoi Xavier Dolan est un grand réalisateur.


Les minutes défilent et décidément, il n'y a pas de doute : on est bien devant un film de Xavier Dolan. Des cadrages et plans rapprochés sur les mains ou les visages de ses personnages, en passant par ces détails chargés de sens et captés par la caméra au détour de rien ou encore par le jeu des regards, des silence et l'utilisation de la musique si propre au réalisateur... On assiste à ce que le jeune québécois sait faire de mieux.


On se retrouve pris au piège dans ce huis-clos familial qui n'est jamais vraiment situé, ni dans le temps, ni dans l'espace. Prenant pour scène principale une maison de famille ou des habitacles de voitures le temps d'un trajet,  l'atmosphère du film, à l'image de sa quasi unité de lieu, finit par étouffer. L'attente de l'annonce de la mort prochaine du protagoniste pèse sur les épaules de celui-ci de la même façon dont elle pèse sur les épaules du spectateur. On s'enlise dans cette atmosphère lourde et caniculaire sur laquelle on sent tout le poids de la mort, de l'absence, des regrets et de l'incompréhension qui flotte entre les personnages.
Le ton est cynique, semble parfois détaché lorsque apparaissent les interludes musicales sous forme de souvenirs, de flash-back qui ouvrent des parenthèses dans lesquelles reprendre son souffle. Le temps d'un instant seulement car la gravité de la situation reprend vite le dessus. Xavier Dolan joue habilement avec cette atmosphère changeante, électrique, qui rend les personnages à fleur de peau et captive les spectateurs autant qu'elle les dérange.  


Dérangeant car il est parfois très gênant de voir cette famille se livrer, s'ouvrir à nous, de se faire voyeur de ce microcosme familiale déjà craquelé et, sûrement, au bord de l'implosion. Pour incarner les membres de ce groupe un peu casse-gueule qui se noie dans la rancœur, dans les non-dits et l'incompréhension, on retrouve un casting composé d'acteurs totalement français pour une fois et pas n'importe quels acteurs. Vincent Cassel, Marion Cotillard, Gaspard Ulliel, Nathalie Baye et Léa Seydoux... qu'on les apprécie ou non, il faut reconnaître que chacun est excellent dans son rôle et dans la névrose de son personnage.


Avec ce huis-clos court mais dense adapté de la pièce de théâtre du même nom de Jean-Luc Lagarce, Xavier Dolan nous offre un nouveau tour de force. On passe du rire à la consternation, on baigne dans la nostalgie et le malaise. Avec son atmosphère extrêmement bien maîtrisée et son casting impressionnant, on retrouve les ingrédients qui font des films de Xavier Dolan des tableaux profonds, captivants et habilement travaillés.