mercredi 9 novembre 2016

[Livre] Repose-toi sur moi de Serge Joncour

Flammarion - 17 août 2016
432 pages

Aurore est styliste et mère de famille. Ludovic est un ancien agriculteur reconverti dans le recouvrement de dettes. Ils partagent la cour de leur immeuble parisien et se rencontrent car des corbeaux s'y sont installés. Leurs divergences pour régler ce problème les mènent à l'affrontement mais ils finissent par apprendre à se connaître.
(Source : Flammarion)

15/20

La promesse d'une belle romance contemporaine, comme le laisse suggérer le résumé, est bien au rendez-vous avec ce nouveau roman de Serge Joncour. Mais le roman est également une critique parfois acerbe de la société d'aujourd'hui. Le mélange, parfois habile, nous révèle avant tout des histoires de vies qu'il est touchant ou intriguant de découvrir, portée par le ton toujours très juste de l'auteur.

Le roman s'ouvre sur la présentation de deux personnages totalement différents. Ludovic est un campagnard un peu bourru et renfermé depuis la mort de sa femme, tandis qu'en parallèle, Aurore est une jeune mère de famille, mariée, styliste et urbaine jusqu'au bout des ongles. Les deux vivent dans des immeubles face à face, séparés par une cours d'immeuble. 
La pauvreté côté cour, les bobos côté rue. Et cette cour, au milieu, comme un pont entre deux univers. 
La rencontre entre ces deux êtres que tout oppose se fait avec tellement de simplicité et d'évidence que j'ai été fascinée par la facilité de l'auteur à nous présenter les prémices de cette romance qui n'avait rien d'attendue. Je parle d'évidence car c'est le sentiment qui m'a tout de suite frappée. La façon dont Ludovic et Aurore se heurtent l'un à l'autre semble être une des choses les plus naturelles au monde. Tout les oppose, pourtant, tout les rassemble aussi, et surtout ce besoin et ce désir qui les animent mutuellement. Cette envie d'être ensemble qui les lie très vite est très belle à lire, garde une légèreté parfois nécessaire dans le tumulte de la vie qui les agite.
« Elle lui saisit le visage avec une force stupéfiante encore une fois, il se laissa engloutir dans ce baiser, cette femme maintenant était un vertige qui le submergeait, qui le dépassait, elle venait de dehors, son manteau, sa peau, son visage, étaient frais, son haleine aussi, elle ne voulait surtout pas prendre le risque de s'attarder, il lui attrapa le visage pour répondre à son baiser, il voulait l'empêcher de repartir, la confondre de désir, l'étourdir en l'enlaçant, mais elle se détacha, elle recula en le regardant dans les yeux. »
Passée leur rencontre et les débuts de leur amour naissant, on se retrouve plongé dans les difficultés de leur vie et les questionnements vis-à-vis de leur famille ou métiers. Il est parfois touchant ou révoltant de voir les deux personnages se confronter aux injustices de la vie. Je me suis souvent sentie révoltée face aux difficultés d'Aurore à gérer son entreprise, bouffée par les magouilles de son associé, ou encore par la contrariété de Ludovic, qui a du mal à assumer le métier peu valorisant qu'il pratique (l'homme est recouvreur de dettes...) Serge Joncour parvient à livrer un panorama très complet de cette société contemporaine qui bat de l'aile, brusquant les hommes, rabaissant les femmes, oubliant les grand-mères dans l'inconfort de leur petit appartement plein de courant d'air. Dans le fond, rien n'est rose, pourtant, la présence de cet amour inopportun garde toujours un rayon de lumière projeté sur les difficultés qui secouent les personnages.
« Sa résistance, on la décide à tout instant, à tout moment on résout de se laisser envahir ou pas par l'angoisse, de se laisser submerger par une préoccupation à laquelle on accorde trop de place. Etre fort, c'est ne pas prendre la mesure du danger, le sous-évaluer, consciemment, tandis qu'être faible, c'est le surestimer, mais l'autre soir, il s'était fait très peur. »
Repose-toi sur moi est un roman plein de spontanéité et de malice porté par une écriture travaillée et qui nous plonge au cœur d'un petit microcosme pourtant bien révélateur de la société contemporaine d'aujourd'hui. Si je n'ai pas totalement été convaincue par la fin du roman, j'ai su me plonger avec plaisir, être touchée, amusée ou révoltée dans cette histoire pleine d'amour, d'apparences, de sensibilité et surtout, d'un réalisme flagrant qu'il est fascinant de contempler. Tous les ingrédients qui expliquent sans doute pourquoi, cette année et pour ce roman, l'auteur a gagné le Prix Interalliés !





[Livre] Tape de Steven Camden

Fleurus - 9 septembre 2016
336 pages
Sortie originale : 30 janvier 2014
Titre Vo : Tape

2013. Ameliah, 13 ans, s’installe chez sa grand-mère après avoir subitement perdu ses parents dans un accident de voiture. Là, elle découvre une cassette dans un des cartons remplis d'affaires de sa mère. L’enregistrement révèle une voix de garçon – une voix qu’elle n’entend pas bien, mais qui semble s’adresser à elle. 
1993. Ryan, 13 ans, enregistre son journal sur une vieille cassette. Il évoque la mort de sa mère et son amour pour une fille qu’il vient de rencontrer et qui ignore son existence. 
Ameliah et Ryan sont liés par autre chose qu’une simple cassette. Voici leur histoire.
(Source : Fleurus)

14/20


Tape avait déjà attiré mon attention, bien avant que je puisse le lire. Je ne sais pas s'il s'agissait de sa couverture jaune poussin avec son dessin vintage ou bien des quatre petites lettres de son titre, aussi succin qu'intriguant. Bref, le livre me plaisait, et l'évocation d'un mystérieux secret au centre de son histoire n'a fait que me donner plus envie de le découvrir !

Tape est un roman à deux voix qui nous entraîne dans les vies de deux protagonistes, deux jeunes adolescents éloignés de vingt ans d'écart dans le temps : Ryan vit en 1993 tandis qu'Ameliah vit en 2013. On se plonge peu à peu dans leur univers respectif (qui ne sont pas si éloignés que ça), dans leur adolescence et toutes les petites choses qui vont avec de l'amitié, aux premiers amours en passant par la famille. Et par le deuil. Si les deux adolescents sont des jeunes comme les autres, ils se retrouvent tous les deux confronter à la perte d'êtres chers, une facette du roman exploitée avec sensibilité.
« - Je suis Ameliah. Des grésillements s'échappent à nouveau des haut-parleurs. - Sérieusement ? - Ouais. - C'était le nom de ma mère. Ameliah se penche en avant avec un sourire. - Je sais. »
J'ai beaucoup aimé plonger dans l'adolescence d'Ameliah et Ryan, les observer se reconstruire après le deuil, comparer leur époque et leur caractère à la fois très différent et très semblable. L'écriture très simple du livre permet de se plonger avec facilité dans l'histoire, j'émets juste un petit bémol sur les dialogues que j'ai trouvé parfois un peu trop enfantins, ça manquait de naturel, sonnait un peu faux. Et j'ai adoré la numérotation des pages, comme une cassette en train d'être écoutée, avec le ruban qui s'enroule d'un côté et se déroule de l'autre.
« Elle lève les yeux vers lui. Elle revoit maman assise au bord de son lit, en train de lui dire que les gens se trouvent forcément les uns les autres. Que les parties les plus infimes de tous les êtres vivants sont faites de particules qui sont soit attirées soit repoussées les unes par les autres. »
Si j'ai su apprécié l'histoire tout en simplicité de Ryan et Ameliah, j'avoue par contre cependant avoir un peu été déçue par cette fameuse histoire de cassette et de magnétophone. Je m'attendais vraiment à quelque chose d'extraordinaire, à la limite du fantastique ou de la SF. J'aurais souhaité que ce soit réellement utilisé pour en faire un sujet central du livre plus qu'un simple ingrédient que l'on voit apparaître trop brièvement. J'ai aimé les utilisations faites des cassettes, comme des messages à travers les années, par contre, celle faite du magnétophone aurait mérité d'être approfondie. L'idée était très bonne !

Tape est un joli roman sur fond d'adolescence et de deuil, les deux personnages sont touchants à suivre dans toute la simplicité de leur jeunesse. Si le fameux secret promis par le synopsis est un peu décevant, on passe tout de même un sympathique moment de lecture. Merci à Babelio et aux éditions Fleurus pour cette découverte !