samedi 26 septembre 2015

[Livre] La fille qui avait de la neige dans les cheveux de Ninni Schulman

Points - Policier, 2014
451 pages
Date du parution originale : 1 juillet 2010
Titre VO : Flickan med snö i håret

De retour dans sa ville natale après son divorce, Madga décroche un poste au journal local. Entre fermetures d’écoles et expositions canines, il ne se passe pas grand-chose, à Hagfors. Quand Hedda, 16 ans, est portée disparue, Magda s’empare de l’affaire. Malgré les mises en garde de la police, elle remonte la piste d’un réseau de prostitution. Va-t-elle pouvoir coincer les coupables seule ?

15/20

Ce n'est plus un secret, ce genre de long titre énigmatique m'intrigue, surtout lorsqu'il est combiné à la promesse d'un polar... suédois qui plus est ! Pour accompagner l'automne et ses chutes de température, autant aller faire un petit tour dans la froideur des polars nordiques.
« Il lui avait suffi d'ouvrir le coffre de la voiture, de défaire le nœud autour des chevilles frêles de la jeune fille et de lui montrer la maison avec un geste de la main pour qu'elle se mette à avancer. Ni pleurs, ni protestations. Elle avait peut-être déjà abandonné tout espoir. Ou alors elle n'avait plus la force de hurler. »
Nous voilà donc plongés au cœur du comté de Värmland, en Suède, dans la petite commune d'Hagfors. Magdalena, une journaliste qui vient de subir un divorce difficile, retourne dans sa ville natale avec son jeune fils pour s'y installer. Elle n'a qu'une idée, prendre le large et partir le plus loin possible de son ex-mari. À Hagfors, elle connait tout le monde et tout le monde la connait. Elle redécouvre les lieux et personnes qui accompagnent ses souvenirs d'enfance. Et surtout, la voilà plongée en plein milieu d'une affaire bien mystérieuse : la disparition d'une jeune adolescente de seize ans. Elle qui pensait trouver la tranquillité retrouve bien vite ses réflexes de journaliste et entreprend de mener l'enquête, parallèlement à la police...
« Le coup partit. La fille tomba en avant, son visage disparut dans la neige fraîche. Plus aucun mouvement. Une sorte de gargouillis indéfinissable sortit de sa bouche.Il retourna à sa voiture, à grandes enjambées pénibles, pour ne pas voir le sang qui coulait à flots du cou de la jeune fille. Pas de panique, se dit-il. Rester calme avant tout. »
La fille qui avait de la neige dans les cheveux est un roman policier au style simple et à l'histoire bien construite. On suit tour à tour Magdalena notre protagoniste, Gunvor, Bengt, des membres du son voisinage et anciens amis, Petra et Christer, différents membres de la police, bref ! Tout le petit microcosme d'Hagfors soudain bousculé par la disparition d'Hedda, la nuit du Nouvel An. Les différents personnages ont tous le droit à plusieurs chapitres ce qui permet de finir par bien les connaître et par donner une place bien définie à chaque d'entre eux : ils servent tous l'histoire à leur manière, il n'y a aucun figurants. 
Cependant, il arrive que cette abondance de personnages perde un peu le lecteur au début. Il faut assimiler un grand nombre d'informations dès le départ pour s'y retrouver et ce n'est pas toujours simple à retenir. Malgré tout, on s'y fait assez vite.
« Et l’idée de voir la photo de sa fille exposée dans les journaux et à la télévision le rendait malade. Depuis son tout jeune âge, il détestait être l’objet de compassion. À présent, tout le monde allait le plaindre, secouer la tête d’un air grave, tenter de le consoler. La pitié. Des parents irresponsables, voilà ce qu’on dirait d’eux. »
Le style simple de l'auteur permet à la lecture d'être agréable. Certaines conversations entre les personnages m'ont paru parfois un peu forcées, manquant de naturelles, mais c'est un détail sur lequel on passe rapidement.
Malgré un dénouement un peu rapide,  l'intrigue est bien tissée, les derniers chapitres accélèrent le rythme de l'histoire et se lisent d'une traite. J'ai parfois eu un peu de mal à comprendre les décisions prises par certains personnages, que j'ai trouvé insensées, voire dangereuses, notamment au sein de la police, et qui m'ont semblé de simples prétextes à un peu d'intrigue. On passe vite l'éponge dessus, l'histoire se rattrapant bien sur la fin. Des petits moments de suspense plus aboutis que d'autres viennent également ponctuer l'histoire et sèment le doute dans l'esprit du lecteur. On a envie de voir comment les choses vont rentrer dans l'ordre et qui sera  le fameux coupable. 

Pas un coup de cœur, mais une lecture prenante et agréable qui me donne sans problème envie de lire un prochain roman de l'auteure suédoise.




jeudi 10 septembre 2015

[Livre] Réparer les vivants de Maylis De Kerangal

Gallimard - Folio, 2015
300 pages
Date de parution originale : 2 janvier 2014

Réparer les vivants est le roman d'une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d'accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l'amour.

18/20

Je ressens cette impression de vouloir dire plein de choses tout en ne sachant pas comment les formuler. Ce roman m'a pris par surprise, il m'intriguait mais je n'en attendais rien. Je ne m'attendais pas à ce que son histoire me percute aussi violemment.

Lire les premières pages de Réparer les vivants, c'est accepter d'être pris dans l'engrenage, accepter de devenir spectateur, heure après heure, du chamboulement de nombreuses vies, du processus incroyablement complexe du don d'organes et de la transplantation cardiaque. 
« Ils sont l'ombre d'eux-mêmes aurait-on dit pour les décrire, la banalité de l'expression relevant moins de la désagrégation intérieure de ce couple que soulignant ce qu'ils étaient encore le matin même, un homme et une femme debout dans le monde, et à les voir marcher côte à côte sur le sol laqué de lumière froide, chacun pouvait saisir que désormais ces deux-là poursuivaient la trajectoire amorcée quelques heures auparavant, ne vivaient déjà plus tout à fait dans le même monde que Cordélia et les autres habitants de la Terre, mais effectivement s'en éloignaient, s'en absentaient, et se déplaçaient vers un autre domaine, qui était peut-être celui où survivaient un temps, ensemble et inconsolables, ceux qui avaient perdu un enfant. »
On vit l'histoire au côté de personnages avec lesquels l'empathie ne se fait pas attendre. Dès le début, on est pris dans la toile. On nous les présente tous, leur nom d'abord, puis leur vie, par des anecdotes, ces détails qui semblent insignifiants et, au contraire, ces autres détails qui font tout. 
Et puis, on nous présente également le côté plus médicalisé de l'événement. Les formalités, les processus, les opérations. Le mécanisme alambiqué de reconstruction d'un corps par un autre. On en apprend beaucoup, mais, et c'est un aspect du roman que j'ai beaucoup apprécié, l'auteur veille à ne jamais faire un constat froid et médical de la situation. Il y a une facette très humaine dans cette histoire. C'est un drame pour certains, une lueur d'espoir pour d'autres, et tous restent humains et c'est avec profondément d'humanité que le sujet est traité. 
« Si c'est un don, il est tout de même d'un genre spécial, pense-t-elle. Il n'y a pas de donneur dans cette opération, personne n'a eu l'intention de faire un don, et de même il n'y a pas de donataire, puisqu'elle n'est pas en mesure de refuser l'organe, elle doit le recevoir si elle veut survivre, alors quoi, qu'est-ce que c'est ? La remise en circulation d'un organe qui pouvait encore faire usage, assurer son boulot de pompe ? »
Si l'écriture de Maylis de Kerangal me laissait songeuse au début par sa nature très dense (de longues phrases aux nombreuses propositions qui s'étirent inlassablement, pouvant même, parfois, faire la taille d'une page entière), ce style effréné nous entraîne sans relâche dans ces quelques jours décisifs avec une poésie et un sens réflexif qui m'ont beaucoup impressionnés. L'écriture est consistante mais on s'y noie allègrement.
« Un pan de sa vie, un pan massif, encore chaud, compact, se détache du présent pour chavirer dans un temps révolu, pour y chuter, et disparaître. Elle discerne des éboulements, des glissements de terrain, des failles qui sectionnent le sol sous ses pieds : quelque chose se referme, quelque chose se place désormais hors d'atteinte - un morceau de falaise se sépare du plateau et s'effondre dans la mer, une presqu'île lentement s'arrache du continent et dérive vers le large, solitaire, la porte d'une caverne merveilleuse est soudain obstruée par un rocher -; le passé a soudain grossi d'un coup, ogre bâfreur de vie, et le présent n'est qu'un seuil ultramince, une ligne au-delà de laquelle il n'y a plus rien de connu. La sonnerie du téléphone a fendu la continuité du temps, et devant le miroir où se fixe son image, les mains cramponnées au lavabo, Marianne se pétrifie sous le choc. »
Réparer les vivants est de ces romans qui frappent, tant par leur sujet qui mérite d'être abordé que par la façon dont ceux-ci sont traités. Le réalisme qui se dégage de l'histoire est tel, que j'en ai souvent pleuré, heurté par la sincérité des mots que j'avais sous les yeux, par la violence et la douleur de la perte, la difficulté d'accepter un processus comme le don d'organes (que ce soit pour les proches du donneurs ou pour le receveur d'ailleurs). 
Cette lecture commune du mois de septembre sur Booknode est un vrai livre coup de poing. Il m'a touché, m'a fait réfléchir et va me rester à l'esprit un moment.



samedi 5 septembre 2015

[Film] Much Loved de Nabil Ayouch

Marocain, Français - 1h44
Sortie en France le 16 septembre 2015
Avec : Loubna Abidar, Halima Karaouane, Asmaa Lazrak

Marrakech aujourd'hui. Noha, Randa, Soukaina, Hlima et les autres vivent d’amours tarifés. Ce sont des putes, des objets de désir. Les chairs se montrent, les corps s’exhibent et s’excitent, l’argent circule aux rythmes des plaisirs et des humiliations subies. Mais joyeuses et complices, dignes et émancipées dans leur royaume de femmes, elles surmontent la violence d’une société marocaine qui les utilise tout en les condamnant.

16/20


Je connaissais déjà Nabil Ayouch à travers son premier film, Ali Zaoua, prince de la rue, que j'avais eu la chance de voir au cinéma avec mon collège et qui avait été un énorme coup de coeur et aussi, du haut des mes douze ans, un de mes premiers  films étrangers en VO. On ressentait déjà la volonté du réalisateur de dénoncer une société injuste, dénigrant les plus démunis. C'est tout à fait ce que l'on retrouve dans Much Loved, à travers, cette fois, le sujet de la prostitution au Maroc.



Nabil Ayouch prend le parti de montrer cette prostitution connue de tous, mais qui reste un sujet tabou dans le pays, avec une véracité percutante. Le scénario, écrit en présence et grâce aux témoignages de quatre jeunes femmes, nous plonge en plein dans le calvaire vaincue au quotidien par des milliers de jeunes filles marocaines. Rien n'a été modifié, tronqué, voire même édulcoré. Le film est fort car il ne déforme rien et colle habilement à une réalité qu'il confronte au regard du spectateur, occidental ou oriental d'ailleurs. Car si le film s'adresse à un public marocain au premier abord, il est également frappant de le regarder d'un autre point de vue. La prostitution des jeunes femmes étant, après tout, un sujet mondial qui ne se borne pas aux frontières d'un pays.

Le propos du film se base donc sur le quotidien de ces jeunes femmes à qui ont promet un avenir lumineux et qui se retrouvent piégées dans le labyrinthe sinueux de la prostitution, parfois même alors qu'elles rentrent à peine dans l'adolescence. On sent la difficulté de se sortir d'un tel système, la violence à laquelle elles courent le risque d'être confrontées en permanence, le rejet des gens face à leur mode de vie. Il y a d'ailleurs une certaine hypocrisie dans cette société qui accepte que le monde de la prostitution existe, mais qui cherche absolument à la taire. Ainsi, le film montre les dessous de cet univers sans chercher à en cacher aucun aspect. De la pornographie, à la violence des gestes, des paroles en passant par la dépravation à laquelle ces jeunes femmes se retrouvent obligée, le film vise en plein dans le mille pour heurter les gens... et pour déranger ! On comprend sans mal pourquoi le film a tant fait polémique, notamment au Maroc où il est interdit de diffusion et où les actrices ont reçu de nombreuses menaces de mort...

Les actrices (et acteurs) du film ne déméritent pas en effet, ils sont très bons dans leur rôle, se glissent à la perfection dans les personnages de ces jeunes femmes (et de ces jeunes hommes homosexuels également, puisque le film aborde aussi cet aspect) en quête d'un avenir plus coloré. L'actrice principale, Loubna Abidar m'a beaucoup impressionnée. Dans le film, mais également lors de la projection à laquelle elle assistait, dans son discours et dans les répercussions que son rôle a eu sur sa vie. Elle mérite amplement le prix d'interprétation féminine du FFA.

Avec un véritable sujet tabou qui mérite d'être abordé, Much Loved n'est pas un documentaire mais une fiction, qui ne pouvait cependant que faire du bruit. J'ai bien cru que le film finirait par me passer sous le nez ; grâce à mon manque d'organisation, j'ai failli le louper plusieurs fois... mais j'ai finalement réussi à me glisser in extremis à la dernière projection lors du festival ! Gagnant du Valois d'or, il aurait été dommage de le rater, Much Loved est sans doute le film qui, durant cette semaine du FFA, m'aura le plus marqué.




mardi 1 septembre 2015

[Livre] Loup, y es-tu ? d'Henri Courtade

Gallimard - Folio SF, 2013
287 pages
Date de parution originale : 1 septembre 2010

Et si les êtres maléfiques des contes de notre enfance existaient réellement ? Sans doute ces créatures vampiriseraient-elles notre planète. Elles seraient de tous les génocides, manipuleraient les plus grands dictateurs. Bref, tapies dans l’ombre d’Hitler ou sous le feu des projecteurs des plateaux télé, elles auraient entre leurs mains expertes le devenir de l’humanité. Sinistre tableau ! Si de tels êtres vivaient, il serait à souhaiter que leur alter ego bienfaisant existe également. Qu’en ce début du XXIe siècle, ces personnages merveilleux s’éveillent et décident de se battre. Et alors, qui sait de quel côté la balance pencherait…

13/20

Le thème de "contes revisités" m'incitait fortement à penser que j'aurais affaire à un recueil de nouvelles, je fus donc très surprise en découvrant que Loup, y es-tu ? est en réalité un roman qui se base sur tout à un tas de vieux contes et vieilles légendes remodelés à la sauce de l'auteur, et surtout, remis un peu au goût du XXIe siècle.

Si ce concept d'aller pêcher dans les contes de notre enfance pour nous offrir une histoire moderne, agrémenté de plusieurs chouettes idées, explications ou modifications quant aux histoires de bases, m'a vraiment plu, j'avoue, au terme de ma lecture, être restée sur ma faim. J'ai beaucoup plus apprécié le fond du roman que sa forme. 
« Il existe dans ce monde des veilleurs qui te rappelleront ton passé, si cela s'avère nécessaire. Ils sont rares, fragiles, et précieux, et leur force réside dans le simple fait qu'ils ne cherchent pas la gloire. Ainsi, ils n'attirent pas l'attention des puissants.Si ces êtres venaient à être éliminés, alors tout espoir serait vraiment perdu. »
Je trouve que l'histoire s'éparpille très facilement vers des détails ou des intrigues parallèles qui font perdre son rythme au récit. Alors qu'on s'attend à suivre Albe et Virginia, qui étaient pour moi, au début, les vraies protagonistes du livre, j'ai finalement eu l'impression que leur histoire n'était que survolée. J'aurais aimé que l'intrigue ne tourne qu'autour d'elles, et que toutes les autres parties de l'histoires (et tous les autres personnages, car il y en a aussi beaucoup) ne soient que des branches de cette intrigue principale, au lieu de venir l'interrompre sans cesse. En conséquent, j'ai parfois eu du mal à rester plonger dans ma lecture. De la même façon, je n'ai pas eu le temps de m'attacher aux personnages (peut-être trop nombreux).

La fin m'a également un peu déçue, j'ai trouvé le dénouement trop simple, sans cette confrontation explosive que je souhaitais entre nos deux héroïnes et la vile Marilyn, et qui aurait clos le roman de façon plus mouvementée. Je pense que j'attendais beaucoup plus d'action en définitive. Le roman, à travers Van Sydow, parle d'Histoire, de cruauté, d'injustice. Dans la lignée des contes et de leur morale, il y avait de quoi faire pour créer une vraie dynamique autour de la confrontation entre le Bien et le Mal. C'est souvent fait, mais par petites touches qui reflètent l'esprit critique de l'auteur sur l'Histoire, la condition humaine ou la société d'aujourd'hui et d'hier. J'aurais aimé que ça soit parfois fait de façon plus explicite.
« Peut-être était-il là, le véritable maléfice, songea-t-elle. Annihiler jusqu'à la moindre conscience de sa monstruosité et faire accepter cet état de fait à l'opinion. Albe se dit qu'il faudrait encore et toujours beaucoup de Cassandre de par la planète ainsi que des veilleurs, prompts à dire non. »
Bon, à côté de ça, je ne boude pas mon plaisir vis à vis de la partie "contes revisités" du roman. J'ai beaucoup aimé les petites histoires inventées par l'auteur sur le devenir des héroïnes, leur passé ou leur personnalité respective. J'ai trouvé ça très astucieux et ça m'a souvent fait sourire.

Loup, y es-tu ? est un roman qui plaira sans nul doute aux amateurs de contes et légendes. S'il est dommage que le rythme du récit souffre d'une intrigue un peu trop éparpillée, avec son écriture simple et son style agréable, la lecture reste divertissante et plaisante à découvrir.