dimanche 29 mars 2015

[Livre] Zombi de Joyce Carol Oates

Lgf - Le livre de poche, 2014
216 pages

Date de parution originale : 1995
Titre Vo : Zombie

Il pose bien un peu problème à à ses parents, mais ni l'un ni l'autre ne croient à l'accusation d'agression sexuelle sur un mineur dont il est l'objet. Il est un cas pour le psychiatre-expert auprès des tribunaux chargé de le suivre, qui se sent néanmoins encouragé par la nature toujours plus positive de ses rêves et sa franchise à en discuter. Il est le plus exquis des garçons pour sa riche grand-mère incapable de lui refuser quoi que ce soit. Il est le plus vrai et le plus terrifiant des tueurs-psychopathes jamais imaginés dans un roman dont on se demande par instants comment l'auteur a pu trouver les mots pour l'écrire.

15/20

Joyce Carol Oates est sans doute l'une des auteures américaines dont j'ai le plus entendu parler (et qui me faisait le plus envie !) sans jamais avoir pris le temps d'attaquer un de ses livres. Voilà qui est désormais fait, et il est déjà certain que ça n'est que le premier d'une longue série.
Zombi est l'un des romans les plus glaçants qu'il m'ait été donné de lire. Publié pour la première fois en 1995, on comprend sans mal que la romancière ait gagné le Prix Bram Stocker (récompense britannique décernée à des romans d'horreur ou de dark fantasy) du meilleur roman cette année là.
« Le temps est-il au-dehors de moi. C’est ce que j’ai commencé à me demander au collège, quand les choses se sont mises à aller vite. Ou est-ce qu’il est au-dedans. »
Quentin est un serial-killer. Du haut de sa trentaine, obsédé par l'idée de se créer un Zombi qui le vénérerait et obéirait au moindre de ses désirs, il kidnappe des jeunes hommes pour les lobotomiser et parvenir à ses fins... chose qui, à son grand dam, échoue à chaque fois.
Suivi de près par son contrôleur judiciaire et son psychiatre pour s'être fait prendre par le passé, il est en liberté conditionnelle, ce qui ne semble jamais l'avoir empêché de poursuivre son petit bonhomme de chemin, entre chacun de ses kidnapping, dans la banalité la plus simple. Il a un poste de gardien d'immeuble, il fait des études, il est entouré par sa famille avec son patriarche, imminent professeur d'université, qui le soutient ou encore sa grand-mère pour qui son petit-fils est la gentillesse incarnée. Vu comme un bon garçon, discret et calme, on est loin d'imaginer les noirceurs qui se cachent dans l'âme de notre protagoniste. Et pourtant...
« Un vrai ZOMBI serait à moi pour toujours. Il obéirait à tous les ordres & les caprices. En disant "Oui, maître" & "Non, maître." Il s'agenouillerait devant moi les yeux levés vers moi en disant : "Je t'aime, maître. Il n'y a que toi, maître." & c'est ce qui se passerait, & c'est ce qui serait. Parce qu'un vrai ZOMBI ne pourrait pas dire quelque chose qui n'est pas, seulement quelque chose qui est. Ses yeux seraient ouverts & transparents mais il n'y aurait rien à l'intérieur qui voie & rien derrière qui pense. Rien qui juge & il n'y aurait pas non plus de terreur dans les yeux de mon ZOMBI. Pas de souvenirs car sans souvenir il n'y a pas de terreur. »
Écrit du point de vue de Quentin, le lecteur est immédiatement confronté à la vision très sombre et dénuée d'empathie du trentenaire. On est interpellé par la typographie particulière avec ses esperluettes à la place de tous les "et" ou par les initiales qui viennent remplacer les noms de tous les personnages, comme s'ils n'étaient pas réellement des personnes et qu'il n'y avait pas d'intérêt à les nommer. Les longues énumérations et phrases composées de beaucoup de propositions frappent également. On se retrouve avec un style très épuré et une narration vraiment mécanique qui renforcent le côté sociopathe de Quentin. On en revient même à redouter les apparitions des majuscules, signe que Quentin s'emballe et que, sous le coup de l'excitation, ses actes vont prendre une ampleur qui fait froid dans le dos.



Associée à ce style dénué d'émotions positives, l'auteur utilise une écriture extrêmement dure et crue, qui ne s’encombre pas en sous-entendus et non-dits. Cependant, en parallèle de ce ton si brusque et vulgaire, il y a dans l’attitude de Quentin, un aspect naïf et détaché plutôt perturbant. Il y a de quoi être un peu désarçonné par ce mélange de naïveté et de noirceur qui donne un côté très instable à notre tueur en série. 
« Un spécimen de ZOMBI plus sûr serait quelqu'un d'extérieur à la ville. Un stoppeur, un vagabond ou un drogué (s'il est en bonne condition physique & pas maigre & esquinté ou malade du SIDA). Ou un type des HLM noires du centre-ville. Quelqu'un dont tout le monde se contrefout. Quelqu'un qui n'aurait jamais dû naître. »
Découpé en deux partie, le roman nous présente ainsi dans un premier temps ce tueur atypique, terrifiant et dont la folie est palpable au fil des pages. Puis vient le moment où Quentin se trouve une nouvelle victime. Du récit de ses précédents Zombis ratés aux banalités de sa vie de tous les jours, on passe subitement à la préparation de ses nouvelles manigances. Le kidnapping mis au point, la lobotomie préparée dans sa cave. Le plan est minutieusement assemblé et les évocations de pic à glace, de couteau à dépecer ou les différents actes sexuels envisagés sont placées dans le texte avec tant de détachement que cette deuxième partie est réellement dérangeante. Car, outre son côté sociopathe, Quentin est surtout un prédateur sexuel et c'est pour cette raison qu'il tient tant à posséder son propre Zombi...
« Merde au PASSÉ, ce n’est PAS MAINTENANT. Rien de ce qui n’est PAS MAINTENANT n’est réel. »
L'apparente simplicité du tueur à passer inaperçu, à élaborer ses sombres dessins dans la transparence la plus totale et l'immersion au plus profond de ses pensées font de ce roman un roman noir dérangeant et (je dois l'avouer) un brin hypnotique. Le mal fascine, ça n'a rien de nouveau, et Joyce Carol Oates réussit ici clairement à captiver ses lecteurs.




samedi 28 mars 2015

[Découverte] Les courts-métrages québécois

Il y a des moments où je suis plus portée sur les courts-métrages que sur les longs et en fouillant un peu, je tombe toujours sur quelques courts qui me plaisent beaucoup ou me marquent... et qui sont malheureusement, peu ou pas assez (à mon goût !) connus. J'ai choisi une poignée de courts-métrages, tous les trois québécois, qui ont principalement été très remarqués lors de leur diffusion à des festivals auxquels ils ont gagné de nombreux prix.



Douce amère d'Adam Kosh
Durée : 18 min
Année : 2014
Ma note :
16/20

Béatrice et Fanny sont deux sœurs très différentes de respectivement 14 et 17 ans. La plus jeune est introvertie et plutôt effacée tandis que la plus âgée, beaucoup plus ouverte, passe ses soirées à faire la fête.
Le court aborde de nombreux sujets, dont le sujet classique de la quête de soi, surtout durant la période de l'adolescence. On ressent vraiment le besoin de s'affirmer de Béa, surtout vis-à-vis de son aînée. D'ailleurs, les deux actrices principales sont sœurs à l'écran mais également dans la vraie vie, ce qui crée une alchimie palpable entre elles qui rend leurs réactions vis-à-vis de l'autre très spontanées et réalistes.
Béa cherche à grandir ; un pied dans l'enfance, l'autre dans le monde des adultes, la scène où elle essaye la nuisette de sa sœur reflète bien sa difficulté à se retrouver, à se définir. Il y a un décalage assez flagrant entre cette jeune fille à l'air si innocent et les vêtements très sexy qu'elle porte.
Le jour de l'anniversaire de Béa, celle-ci réussi à convaincre sa sœur de l'emmener avec elle à la soirée à laquelle elle se rend. On retrouve l'adolescente plongée en plein dans un milieu où l'alcool coule à flot, où on peut sniffer de la coke simplement en tendant la main et où les jeux de séductions opèrent, souvent accentués par toutes les substances ingurgitées. 
Il y a un aspect assez désillusionné de tous ces excès et du besoin de les afficher. Notamment de la sexualité, qui est ici utilisée comme un moyen de s'affirmer, mais qui n'a rien, finalement, de transcendant. La plus âgée couche de droite à gauche avant de rentrer chez elle, on y voit plus un acte mécanique que réellement érotique. La plus jeune, elle, voit le sexe comme une sorte de curiosité, une finalité qui pourrait la propulser dans un monde plus adulte, aux côtés de sa sœur. Jeune et naïve, elle se laisse entraîner et se retrouve à tester ses limites. 



C'est là qu'intervient la notion de consentement sexuel largement mis en question par le court-métrage. J'ai trouvé cet aspect plutôt réaliste d'ailleurs, le sexe non consentant étant abordé avec beaucoup de subtilité : dans l'échange final entre le garçon et Béa, dans la démarche mal-assurée de celle-ci ou encore dans la réaction de la grande sœur qui comprend ce qu'il s'est passé, et se le reproche sans doute. Pourtant, il ne se dégage pas d'impression malsaine, le scénario du film joue sur le doute, en éclipsant la scène entre Béa et le garçon, se bornant à un baiser avant de revenir lorsque tout est déjà terminé.
Et finalement, le spectateur garde lui aussi cette saveur douce amère (le titre du court est très bien trouvé), cette amertume d'avoir vu dépasser des limites sans réellement le vouloir, sans pouvoir le contrôler, sans en avoir été vraiment conscient. 



Quelqu'un d'extraordinaire de Monia Chokri
Durée : 28 min
Année : 2014
Ma note :
17/20 

Je connais Monia Chokri depuis Les amours imaginaires de Xavier Dolan, film dans lequel elle s'est réellement fait connaître en 2010. J'étais plutôt curieuse au départ lorsque j'ai entendu parler de son premier court-métrage. 
Réalisé et scénarisé par elle-même, le court est produit par Nancy Grant, productrice de Mommy, et monté par Xavier Dolan. Le nom d'Anne Dorval (décidément...) dans le casting a définitivement certifié mon intérêt pour le court-métrage. 
Il faut dire que l'équipe est très prometteuse... et loin d'être décevante ! J'ai adoré ce court-métrage.

Sarah (interprétée par Magalie Lépine-Blondeau, que je suis ravie d'avoir découvert ici ) a la trentaine. Un matin, elle se réveille dans une chambre qu'elle ne reconnait pas, chez des inconnus. C'est le black-out total... et de ce black-out, naîtra d'ailleurs une étincelle qui va enflammer Sarah et la pousser à s'interroger sur sa vie et son avenir. C'est un peu la crise de la trentaine et la remise en question : sa vie est en balance, avec d'un côté une insouciance et des rêves de jeunesse difficile à quitter (elle est en doctorat, ne cherche pas à se fixer) et de l'autre, la crainte d'une vie banale, et un ordinaire routinier. 
Récupérée dans cette maison inconnue par une amie, elle est amenée à un enterrement de vie de jeune fille d'une de leur copine. 
Sarah est mal à l'aise. Avec ses cheveux en bataille et son t-shirt trop grand, on la sent peu en adéquation avec toutes ces femmes pomponnées, propres sur elles... et assez superficielles. Les différents plans qui passent de filles en filles, troncatures de leurs conversations respectives, sont assez représentatifs : les hommes, le sexe, le mariage, la maternité, la chirurgie esthétique. Les dialogues sont plutôt stéréotypés et un brin affligeants. On a du mal à se prendre de sympathie pour cette cohue de femmes relativement clichés qui pensent que le sexe et le mariage sont l'une des seules façons de s'affirmer en tant que femme.



Le personnage de Sarah en devient alors très attachant. Naturelle, intelligente, la tête sur les épaules et portant un regard plus féministe sur le rôle de la femme, elle représente une figure bien plus moderne.
Cette scène d'enterrement de vie de jeune fille est vraiment très drôle. Le scénario joue sur l'aspect tragi-comique et j'ai beaucoup rigolé. Il faut aussi avouer que dans le jargon québécois et avec l'accent qui va avec, voir une poignée de femmes se taper dessus (à coup de mots, mais pas que !) a de quoi prêter à sourire. Tout comme le personnage interprété par Anne Dorval qui apparaît assez brièvement, mais qui est fidèle a ce que sait jouer l'actrice avec son petit côté excentrique. J'ai beaucoup aimé la retrouver ici.
Une chose est sûre, j'irai voir le premier long métrage de Monia Chokri avec plaisir.




Tala de Pier-Philippe Chevigny

Durée : 13 min
Année : 2014
Ma note :
16/20

Tala est une jeune femme d'origine philippine travaillant comme domestique chez une famille bourgeoise de Montréal. 
Durant treize minutes, on suit ce qui débutait comme une journée de travail ordinaire. Filmé en plan-séquence, l'immersion dans l'histoire se fait sans interruption et on suit Tala durant ce quart d'heure qui va bouleverser le court de sa vie. 
La critique de la situation est flagrante. On a un aperçu du comportement des employeurs face à leur employée, des tâches que la patronne de Tala lui assigne avec froideur : nettoyer la table, faire la vaisselle, ranger. D'un côté, on se sent un peu mal à l'aise face à la pression à laquelle Tala est confrontée, et la position de soumission devant laquelle elle se retrouve : elle doit garder son travail pour pouvoir avoir ses papiers. En parallèle, on sent que la femme et son mari ont conscience du pouvoir qu'ils exercent sur Tala. J'ai été un peu gênée par le manque de respect, en filigrane, mais tout de même flagrant : ils l'infantilisent, la gronde, lui font des reproches pas toujours justifiées. Comme si Tala n'était finalement "que" la bonne et qu'il était normal de si peu la considérer. C'est pourquoi, lorsque Tala commet l'affront de décrocher son téléphone alors qu'elle n'est pas en pause, sa patronne s'énerve si facilement. Mais voilà, les coups de fil vont se répéter. 



On sent la montée progressive de la tension à mesure que les appels sonnent dans le vide, qu'elle n'ose pas décrocher et qu'elle est tiraillée entre garder son emploi et prioriser sa vie privée. La fin tombe comme un couperet. Je m'attendais à ce que la chute soit frappante, mais pas à ce qu'elle soit abordée sous cet angle. On se sent un peu désarçonné, à l'image de la famille, devant la stupeur des images que l'on a sous les yeux. 
Un court-métrage à la chute troublante, porté par l'engagement du réalisateur et le fort poids social du message à faire passer.



jeudi 26 mars 2015

[Film] À trois on y va de Jérôme Bonnell

Français - 1h27
Sortie en France le 25 mars 2015
Avec : Felix Moati, Anaïs Demoustier, Sophie Verbeeck

Charlotte et Micha sont jeunes et amoureux. Ils viennent de s’acheter une maison près de Lille pour y filer le parfait amour. Mais depuis quelques mois Charlotte trompe Micha avec Mélodie… Sans rien soupçonner, se sentant toutefois un peu délaissé, Micha trompe Charlotte à son tour… mais avec Mélodie aussi ! Pour Mélodie, c’est le vertige. Complice du secret de chacun. Amoureuse des deux en même temps…

15/20

Dans la jolie ville de Lille, un couple vit ensemble. Micha aime Charlotte et Charlotte aime Micha... mais elle aime également son amie Mélodie, avec laquelle il lui arrive de coucher. La mascarade dure près de cinq mois. Jusqu'au jour où Micha réalise qu'il aime aussi Mélodie. Les deux amoureux entament alors une infidélité croisée avec leur amie commune, et ce, dans le plus grands des secrets. 
La situation, un brin cocasse, apporte une touche comique très plaisante que l'on retrouve habilement distillée tout au long du film. Car l'humour ne prime pas et est parfaitement équilibré avec une sensibilité flagrante qui ne manque pas de frapper.


Le thème du triangle amoureux est abordé avec un regard nouveau. Pas d'adultère, pas d'excuses non plus, simplement de l'amour qui déborde un peu trop... mais ne blesse jamais. Si les personnages sont blessés, c'est par la force de leurs sentiments, jamais à cause d'un amour contrit ou d'une direction trop moralisatrice. Les personnages s'aiment d'un amour plein de fraîcheur, de spontanéité mais de fragilité également. Et bien sûr, de sensualité. Le jeu de séduction constant passe beaucoup par les regards et la gestuelle que la caméra du réalisateur capte avec subtilité à l'aide de ses gros plans propices sur les visages de ses acteurs.




Le film pose une question plutôt intéressante sur l'identité du couple et, non pas sur l'infidélité, mais plutôt sur la difficulté d'atteindre une certaine plénitude seulement à deux.
On suit le ballet tantôt comique, tantôt sensuel de ces deux couples... à trois. Les acteurs sont excellents, le trio fonctionne à la perfection, il y a une véritable alchimie entre eux. Anaïs Demoustier est une actrice que j'ai découverte dans Une nouvelle amie de François Ozon et après À trois on y va,  il est certain que je vais m'attarder sur le reste de sa filmographie car elle me laisse décidément une forte impression à chaque fois. J'aime beaucoup son air enfantin et sa simplicité. Elle dégage beaucoup de naturel et les rôles qu'elle incarne lui vont à merveille. Elle interprête ici Mélodie, jeune femme à l'amour impulsif, incapable de choisir quelle direction donner à ses sentiments, elle qui, avocate, est d'habitude si prompt à trancher à coup de lois et de décrets.



Il n'y a jamais rien de licencieux ou moralisateur, le scénario se concentre surtout sur cet amour si particulier et si simple à la fois. C'est un aspect du film qui m'a beaucoup plu. Ici, pas d'objectif de faire passer de messages ou de donner des leçons.

Jérôme Bonnell signe avec À trois on y va une comédie romantique moderne qui frappe par sa fraîcheur et sa sensibilité. On suit l'évolution des sentiments de ces trois jeunes gens avec attention, tantôt amusé, tantôt touché. Les acteurs dessinent avec brio la difficulté des mensonges, la puissance du désir et la passion de ces amours si spontanés et (presque) interdits. On se doute que l'histoire n'est pas faite pour durer. Et c'est parce que cet amour éphémère n'est pas voué à persister qu'il est en réalité si plaisant à contempler.




dimanche 22 mars 2015

[Film] Métamorphoses de Christophe Honoré

Français - 1h42
Sortie en France le 3 septembre 2014
Avec :  Amira Akili, Sébastien Hirel, Damien Chapelle

Devant son lycée, une fille se fait aborder par un garçon très beau mais étrange. Elle se laisse séduire par ses histoires. Des histoires sensuelles et merveilleuses où les dieux tombent amoureux de jeunes mortels. Le garçon propose à la fille de le suivre.

14/20

Du titre à l'affiche, tout me faisait envie chez ce dernier film de Christophe Honoré. Il semble cependant être apparu au cinéma aussi vite qu'il en fut enlever, j'ai donc mis du temps à pouvoir enfin le voir. Le réalisateur adapte ici les Métamorphoses d'Ovide dans un univers moderne qui vacille de la nature au milieu urbain. Avec ses quinze livres, adapter l'oeuvre originale était un pari ambitieux. Le final donne un film de seulement une heure quarante-deux proposant des extraits des fameuses métamorphoses. 



Le film suit Europe, une jeune femme qui rencontre à la sortie de son lycée un mystérieux garçon, Jupiter, qui l'entraîne dans son monde peuplé d'histoires de dieux, de mortels... et de métamorphoses (oui, c'est le but du film !). J'ai envie de lire Ovide depuis des années, les mythes qu'il raconte me fascine, et ce fut également le cas à l'écran. J'ai beaucoup aimé découvrir les mythes qu'on nous propose ici. Néanmoins, au milieu de toutes ces histoires, le scénario de base s'en retrouve un peu bancal, on parfois du mal à retrouver le fil conducteur et à comprendre comment les différents mythes viennent se greffer dessus.



Pour moi, Christophe Honoré, c'est Les chansons d'amour, sorti en 2007, premier film que j'ai vu du réalisateur, et sûrement celui qui m'a le plus marqué pour le moment. J'avais été très sensible à l'esthétique de son film et je suis ravie d'avoir pu retrouvé ce sens de l'image, très poussé, dans les Métamorphoses
Les plans nous plongent de la ville avec ses immeubles, en passant par les routes et leurs semi-remorques, à la nature avec ses grands espaces : roches, forêts, lacs, rivières... Le dosage entre modernité et mythologie se fait avec subtilité (un passage met en scène un dieu se promenant nu en pleine nature et s'allongeant sur le sol, on remarque qu'il porte aux pieds des baskets rouges et noirs) et ce qui aurait pu être ridicule est en fait facilement accepté et ne dérange pas. La BO du film joue également beaucoup avec le mélange de musiques classiques (Ravel et Mozart) et de musiques pop (Baxter Dury). Cette réadaptation moderne est un point que j'ai vraiment aimé. On garde l'essence du mythe d'origine mais placé dans un contexte tout nouveau. Le concept est très intéressant.


Les acteurs incarnant tour à tour dieux et déesses sont peu ou pas connus. Leur jeu est souvent hasardeux, un brin surjoué. Bizarrement, ce n'est pas si gênant que ça, cette espèce de grandiloquence mal assurée dont ils font tous plus ou moins preuve colle bien avec l'épique du poème de base. Et puis, on apprécie de se retrouver face à des figures inconnues et vierges d'expériences. Ça renforce l'impression un peu à part que l'on a du long métrage. 

Il se dégage une certaine sensualité du film. Une beauté primitive qui se retrouve dans la simplicité de la nature, dans la violence des amours racontés et dans la quasi-omniprésence de tous ces corps nus qui se touchent et s'enlacent. Malgré tout, ça reste très pudique et ne devient jamais grossier ou vulgaire. On retrouve bien l'aura du poème latin d'origine mais intégré dans ce XXIe siècle, qui ne semble pas toujours si en opposition que ça.

Si je voulais voir le film depuis un moment, je ne m'attendais pas à l'apprécier autant. L'idée me plait et j'ai été captivée par ce que je voyais. Si on arrive à rentrer dans le concept, il suffit de se laisser porter par tous les mythes racontés. En tout cas, ça va peut-être enfin me décider à me lancer dans Ovide.




vendredi 20 mars 2015

[Film] Le Chant de la Mer de Tomm Moore

Irlandais - 1h33
Sortie en France le 10 décembre 2014
Titre VO :  Song of the Sea


Ben et Maïna vivent avec leur père tout en haut d'un phare sur une petite île. Pour les protéger des dangers de la mer, leur grand-mère les emmène vivre à la ville. Ben découvre alors que sa petite soeur est une selkie, une fée de la mer dont le chant peut délivrer les êtres magiques du sort que leur a jeté la Sorcière aux hiboux. Au cours d'un fantastique voyage, Ben et Maïna vont devoir affronter peurs et dangers, et combattre la sorcière pour aider les êtres magiques à retrouver leur pouvoir.

18/20

J'ai vu Brendan et le secret de Kells il y a quelques mois et la découverte avait été une excellente surprise. Tomm Moore et son univers ne m'étaient donc plus tout à fait inconnus. Je ne pensais cependant pas que le réalisateur serait capable de viser encore plus haut.

Ben et Maïna sont frère et soeur. Ils vivent dans le phare, sur une île de la côte, avec leur père Conor et leur chien Joe. Le jour de l'anniversaire de Maïna n'est pas qu'un jour de fête puisque Bronagh, la mère des enfants, a disparu six ans plus tôt, à la naissance de la petite fille. L'absence de la mère plane en permanence sur la famille, se reflétant sur la tristesse du père qui ne s'est jamais remis de la disparition de sa femme et sur la colère du frère qui ne peut s'empêcher de rejeter sa petite sœur. 



D'un côté, il y a ce jeune garçon plein de vie et de fougue qui aime chanter et dessiner les histoires que sa mère lui avait apprise. Et puis, il y a cette petite fille aux cheveux sombres et aux joues rouges qui ne parle jamais... et qui semble étrangement attirée par la mer. 
Un jour, pour leur sécurité, la grand-mère des enfants décident de les emmener vivre en ville avec elle. Les contes et légendes prennent alors vie.

Maïna est, comme sa mère l'était, une selkie. Une créature magique de la mer. Le film s'inspire en effet beaucoup des contes celtes ainsi que du folklore irlandais. Dans les légendes des Shetland, la selkie est une jeune femme aux pouvoirs magiques qui revêt une peau de phoque pour se changer en créature marine et plonger dans la mer. Ici, notre petite selkie doit porter son manteau blanc pour pouvoir chanter et libérer les êtres magiques transformés en pierre par la méchante sorcière aux hiboux.


Les inspirations celtiques sont un enchantement, on découvre avec plaisir et éblouissement les merveilles de ces contes oubliés et l'ambiance si particulière de leurs histoires. L'univers qui en découle est remplie de poésie et d'onirisme. C'est beau à suivre, mais également à contempler.

Le Chant de la Mer est une petite merveille visuelle. Les techniques de l'aquarelle sont essentiellement utilisées apportant des tableaux pleins de couleurs qui collent très bien avec l'univers de l'histoire. Pour ajouter un côté celtique, on retrouve également beaucoup l'utilisation de l'Ogham (un alphabet médiéval irlandais) dont les lignes et courbes rappellent ce folklore irlandais déjà si présent.


Tomm Moore à fait appel au talent de Kila et de Bruno Coulais, qu'on retrouvait déjà avec plaisir dans Brendan et le secret de Kells, pour créer la bande originale de son film. Il en résulte de très belles chansons et mélodies aux consonances gaéliques. À noter que dans la version française, Nolwenn Leroy est l’interprète des chansons.

Le Chant de la Mer est une petite perle du cinéma d'animation. J'ai été réellement touchée par cette histoire profondément triste et mélancolique. On ne peut s'empêche d'être absorbé par son univers si riche et poétique. À voir à tout âge, le film a plusieurs niveaux de lectures et véhicule de belles leçons sur la jalousie, la difficulté de perdre quelqu'un que l'on aime, l'importance de la famille et le courage. Un chouette moment qui montre qu'il suffit  parfois juste de quelques notes de musique pour que les histoires prennent vie.




jeudi 19 mars 2015

[Film] Big Eyes de Tim Burton

Américan - 1h45
Sortie en France le 18 mars 2015
Avec : Amy Adams, Christoph Waltz, Danny Huston

Le film raconte la scandaleuse histoire vraie de l’une des plus grandes impostures de l’histoire de l’art. À la fin des années 50 et au début des années 60, le peintre Walter Keane a connu un succès phénoménal et révolutionné le commerce de l’art grâce à ses énigmatiques tableaux représentant des enfants malheureux aux yeux immenses. La surprenante et choquante vérité a cependant fini par éclater : ces toiles n’avaient pas été peintes par Walter mais par sa femme, Margaret.

15/20

Big Eyes, c'est le type même du film qu'on attend un peu tous avec impatience. Un réalisateur qui n'a plus rien à prouver (mais qu'on attend tout de même au tournant avec des derniers films n'ayant pas toujours fait l'unanimité), un casting intéressant et une histoire qui intrigue. Le long métrage fait figure d'intrus parmi la longue filmographie de Tim Burton. Et on comprend pourquoi.

Le film raconte l'histoire vraie de Margaret Keane. Peintre américaine des années 60, malgré son oeuvre prolifique, elle reste dans l'ombre quelques années, l'intégralité de ses toiles étant signées par son mari, Walter Keane. Celui-ci, bonimenteur de première ordre, passe des années à s'approprier le travail de son épouse avant que celle-ci ne finisse par faire éclater la mascarade au grand jour. 


Déjà, Burton et les biopics, c'est assez rare. On connait le réalisateur dans un genre très fantastique, le voir se plier aux exigences d'une histoire réaliste n'est pas commun. En ce qui me concerne, je trouve le pari réussi, même si l'univers burtonien avec son style gothique m'a manqué. Quand on aime beaucoup le réalisateur pour cet aspect de son travail, il est difficile de ne pas être déçu. Avec son ambiance des années 60, très pop et colorée, il manque une part de sombre qui aurait été appréciable. Seul détail qui pourrait rappeler la signature de Burton : ces fameux Big Eyes. 
Les tableaux avec leur figures mélancoliques et leurs gros yeux tristes intriguent et fascinent. Et pourtant, ils ne sortent pas du tout de l'imaginaire du réalisateur, mais bien de celui de Margaret Keane. On saisi pourquoi Burton a choisi d'adapter à l'écran la vie de l'artiste.




Amy Adams joue une Margaret Keane pleine de talent, mais malheureusement fragile et naïve. On comprend sa victoire aux Golden Globes en tant que meilleure actrice dans une comédie. Son interprétation reflète bien le personnage, on se prend vraiment d'empathie pour cette femme un peu soumise qui ne trouve pas d'autres solutions que celle de laisser son mari prendre le dessus sur elle. Celui-ci est interprété par un Christoph Waltz plein de fougue qui sait se rendre aussi charmant que détestable. Le baratineur apporte d'ailleurs une touche de ridicule et de comique appréciable... puisque le film en comporte finalement assez peu.
C'est un point que j'ai trouvé plutôt dommage. J'attendais un scénario plus porté sur un humour noir ou décalé. Il y aurait eu matière à rester dans les bases du biopic tout en ajoutant ce côté un peu déjanté qui va tellement bien avec les films de Burton. Ce n'est pas le cas et j'en ai été plutôt surprise. On sourit deux trois fois, mais plus à cause des situations qui prêtent à sourire qu'à un scénario qui tente vraiment de faire rire. Le rythme du film est du coup plutôt lent. On ne s'ennuie pas, mais il n'aurait pas fallu que le format soit plus long.




Sur le biopic en lui-même, l'histoire est bien respectée et racontée. Il est très intéressant de découvrir le travail de Margaret Keane, ainsi que la façon dont cette énorme mascarade artistique s'est orchestrée. Je ne connaissais pas la peintre et je suis contente d'avoir pu découvrir ses œuvres, que j'aime beaucoup au demeurant. 

Plaisant à regarder, le film est certainement meilleur que certains des derniers de Burton. Cette tentative de se lancer dans un genre qui lui correspond peu attise la curiosité et le film qui en découle est maîtrisé. Dommage qu'on reste si attaché au genre de Burton et qu'on ne puisse pas s'empêcher d'être un peu déçu de ne pas avoir été transporté dans l'univers du réalisateur.




[Film] Cake de Daniel Barnz

Américain - 1h42
Sortie en France le 8 avril 2015
Avec : Jennifer Aniston,  Sam Worthington, Adrianna Barraza

Claire Bennett va mal. Il n'y a qu'à voir ses cicatrices et ses grimaces de douleur dès qu'elle fait un geste pour comprendre qu'elle souffre physiquement. Elle ne parvient guère mieux à dissimuler son mal-être affectif. Cassante et parfois même insultante, Claire cède à l'agressivité et à la colère avec tous ceux qui l'approchent. Son mari et ses amis ont pris leurs distances avec elle, et même son groupe de soutien l'a rejetée. Profondément seule, Claire ne peut plus compter que sur la présence de sa femme de ménage Silvana, qui supporte difficilement de voir sa patronne accro à l'alcool et aux tranquillisants. Mais le suicide de Nina , qui faisait partie de son groupe de soutien, déclenche chez Claire une nouvelle fixation.

15/20

S'il est vrai que l'on a peu l'habitude de voir Jennifer Aniston dans ce registre de film (ce qui prête à la curiosité d'ailleurs), ce n'est pas vraiment pour l'actrice que j'ai eu envie de regarder Cake, mais surtout pour l'affiche avec son image voilée et son titre un peu en opposition qui m'ont, tout deux, réellement intriguée. J'étais loin de me douter de ce qu'il se cachait derrière tout ça.

Claire est une femme brisée. Les cicatrices sur son visage et les grimaces au moindre de ses mouvements le prouvent. Se déplacer lui coûte, être assise est un enfer. Heureusement, il y a les analgésiques et l'alcool pour clamer à son corps de se taire. 
Mais les cicatrices de Claire ne sont pas que physiques. Moralement, elle est également sacrément esquintée. Et surtout, elle est en colère. Agressive et tranchante, malgré ses blessures, on a parfois du mal à ne pas la trouver haïssable. Pour dire les choses clairement, c'est une vraie garce. 
Abîmée mais détestable, elle a, au fil du temps, érigé un mur entre elle et les autres. Distanciant de son ton cassant et de son attitude déplaisante tous ceux qui souhaitaient l'aider, de ses amis à son mari en passant par son groupe de soutien, elle se retrouve seule, chaperonner néanmoins par Silvana, sa femme de ménage qui supporte stoïquement l'hostilité de sa patronne à qui elle reste très attachée.



Si Jennifer Aniston n'est pas une actrice dont la filmographie m'aura marquée jusqu'à présent, elle est, dans Cake, impressionnante. Parfaitement dans la maîtrise de son rôle, elle arrive à transmettre aux spectateurs la panoplie d'émotions qui l'entourent. Colère, douleur, antipathie, tristesse, injustice, courage : les sentiments sont au rendez-vous... peut-être même parfois trop. Si durant une grande partie du film le dosage est contrôlé, certaines scènes tombent peut-être un peu vite dans le larmoyant. Le film étant fait pour émouvoir, ce n'est pas réellement gênant et on passe vite sur ce trop plein de compassion qui aurait tendance à apitoyer plus qu'à toucher.





La dégringolade de Claire prend une tournure différente le jour où Nina (jouée par Anna Kendrick qui a décidément la côte en ce moment), une des femmes de son groupe de soutien, se suicide. L'événement agit comme un déclencheur. Obsédée par Nina, le quotidien de Claire s'en retrouve bouleversé. De plus en plus accro aux médicaments, elle en vient même à voir Nina apparaître en rêve ou sous forme d'hallucination. La fraîcheur d'Anna Kendrick et son air sarcastique apporte d'ailleurs une touche d'humour et d'absurde qui sort, l'espace de quelques scènes, de l'aspect dramatique du film.




Claire se met à enquêter sur cette femme qu'elle ne connaissait en réalité pas vraiment, allant jusqu'à s’immiscer dans la vie de son mari désormais veuf (Sam Worthington) ainsi que de son fils. Que pensait Nina avant de mourir ? Était-elle sûre de son geste ? Claire se pose des questions sur la mort de Nina et ses derniers instants, des questions auxquelles elle est bien décidée à obtenir des réponses. 
Munie d'un nouveau but, elle se hisse peu à peu hors de son train train médicamenteux, avec l'aide de Silvana toujours à ses côtés. Celle-ci est interprétée par Adriana Barraza qui m'avait déjà beaucoup touchée dans Babel d'Alejandro González Inárritu et j'étais très contente de la retrouver ici dans un rôle tout aussi émouvant et plein d'abnégation. 

Daniel Barnz signe ici long métrage touchant sur la façon dont le chagrin transforme et la difficulté de vivre avec sa douleur, qu'elle soit physique et morale. Il y a un beau message à faire passer et la sincérité des acteurs participent grandement à la profondeur du film.