samedi 14 mars 2015

[Découverte] Le Handicap en courts-métrages

Aux alentours de minuit, la nuit du vendredi au samedi sur Arte, il y a Court-circuit, mon nouveau rendez-vous nocturne.


Court-circuit, c'est le magazine de la chaîne, spécialisé dans les courts-métrages. Au programme en général, deux ou trois courts métrages, des making-off et décryptages des courts diffusés et des présentations de festivals. J'ai découvert le magazine il y a quelques semaines et depuis, je veille scrupuleusement à ne pas le louper. À noter que les courts-métrages diffusés sont ensuite à retrouver en replay sur le site d'Arte pendant une semaine après leur diffusion, ce qui est plutôt sympa si on a raté un numéro ou qu'on souhaite revisionner un film.

Ce vendredi 13 mars, Court-circuit propose un numéro Spécial Handicap.  Au sommaire, trois courts-métrages et un reportage sur le festival Regards Croisés à Nîmes.

Le magazine débute par la diffusion d'un premier court-métrage, Prends-moi d'Anaïs Barbeau-Lavalette et André Turpin, avec explication du film par les deux réalisateurs à la fin.
Nationalité : Canadien
Année : 2014
Durée : 10 min
Dans un centre d’hébergement et de soins pour handicapés, un soignant se voit confronté à une tâche qu'il ressent comme bien embarrassante.

16/20

Le film commence sans préambule, on est directement plongé dans l'histoire. Un aide soignant est en train d'aider un jeune handicapé à se mettre dans un lit. Il le porte, l'installe, le déshabille avant de rapprocher le lit de celui de la jeune fille à côté. 

Prends-moi aborde en effet le sujet de la sexualité des handicapés, notamment en structure médicalisée, comme ici dans un hôpital. J'avais déjà vu le sujet abordé dans le film The Sessions de Ben Lewin, mais pas sous cet angle là et je ne connaissais pas du tout le concept des « chambres d'intimité », à savoir une pièce où les couples handicapés peuvent se retrouver et bénéficier d'une aide vis-à-vis de leur sexualité.


L'histoire se suit du point de vue de l'aide soignant, d'une personne valide et donc plus proche du spectateur qui se met inévitablement à sa place et s'interroge. Quelles seraient nos réactions si nous étions impliqués de la même façon dans cette intimité là ? 
Il est vrai qu'il y a un côté très intrusif dans le procédé, même si nécessaire, et on sent bien que l'aide soignant est dérangé. Pourtant, j'ai trouvé que loin d'être réellement de la gêne, il découlait du film quelque chose de très humain. La scène où Mani revient chercher le jeune homme et que celui-ci le remercie l'exprime d'ailleurs clairement.


Le court ne s'encombre pas en paroles, on est du coup beaucoup dans la contemplation. Et il y en a des choses à voir. Les images sont belles. Bien que dans un hôpital, le médical ne saute pas aux yeux. La chambre d'intimité à un aspect un peu feutrée qui emprisonne les deux jeunes amoureux dans leur moment ensemble.  La mise en scène trouve un bon juste milieu pour réussir à faire passer la joliesse de l'amour sans tomber dans l'aspect documentaire ou au contraire trop aguicheur et provocant. Et finalement, on a sous les yeux un couple en train de faire l'amour et il n'y a rien de gênant à ça, que ce soit l'acte en lui-même ou leurs deux corps nus et abîmés. Une seule chose de frappante : le désir.

Je suis allée jeter un oeil aux deux réalisateurs après avoir visionné Prends-moi et il faut souligner qu'André Turpin est un chef opérateur reconnu, qui a notamment participé au tournage de l'excellent Mommy de Xavier Dolan en tant que directeur de la photographie. Le traitement de l'image n'a donc rien d'anodin.

Le but des réalisateurs était de montrer le rapport des handicapés vis-à-vis de leur sexualité, mais aussi le rapport des autres vis-à-vis de cette sexualité, notamment le personnel soignant amené à travailler dans ces structures. Dans l'interview suivant le court-métrage, André Turpin déclare : « Ce n'est pas juste parler de sexe ou d'amour, c'est aussi parler de ce qui est impossible pour eux ». 
Pour ma part, je trouve que le film rempli son rôle avec sucés.

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Le magazine se poursuit avec le court-métrage, Les Corps étrangers de Laura Wandel.
Nationalité :  Belge
Année : 2014
Durée : 15 min
Dans une piscine municipale, un homme suit des séances de rééducation. Il doit apprendre à faire face à son corps mutilé et au regard des autres.

15/20

Alexandre est un ancien photographe de guerre qui, suite à un accident, s'est retrouvé amputé de la jambe gauche. Il suit à la piscine des séances de rééducation avec l'aide de son kinésithérapeute.

Les corps étrangers se sont les corps des gens à la piscine. Des autres, des valides. Mais aussi de son corps à lui, ce corps blessé qu'il ne semble plus reconnaître, qu'il doit se réapproprier.
On observe la façon dont il appréhende le corps des autres, par le biais d'une série de plans très rapprochés. Les visages, les regards, les jambes sous l'eau, les épaules. La nuques aussi, celle d'Alexandre, qui se distancie des autres. La caméra filme avec beaucoup de minutie les mouvements imperceptibles de tous ces fragments de corps ciblés. Les plans s’enchaînent, révélateur de l'état d'esprit d'Alexandre.
On le sent profondément toucher dans son être. Il a les yeux dans le vide, l'air las. Un brin irascible, il parle peu. Il refuse de se confronter au regard des autres, aux enfants dans le vestiaire dont il attend la sortie pour oser quitter sa cabine.


Au fur et à mesure que l'histoire progresse, les plans s'élargissent en même temps qu'Alexandre s'ouvre un peu plus.
À la piscine, Alexandre et son kinésithérapeute se retrouvent assis à la table d'un café, avec les bassins en contrebas. De la musique accompagne la scène. Un groupe de nageuses synchronisées nagent un peu plus loin. Le kiné décide de prendre une photo, on vise son intention d'essayer d'accrocher l'attention du photographe. Son intérêt s'éveille progressivement, il ne regarde plus dans le vide, suit du regard ce qu'il se passe. Le kiné lui demande son avis sur la photo qu'il vient de prendre avec son téléphone. Il essaye de renouer le lien avec l'homme, de briser l'exclusion qu'il s'impose.


Les symboliques que l'on retrouve disséminées un peu partout dans le court-métrage sont belles. Il y a cet oiseau prisonnier à l'intérieur qui ne se heurte qu'à des murs, ces femmes enceintes, sur le point de donner la vie et celle, debout, qui avance dans l'eau. Les enfants et leur insouciance reviennent, Alexandre s'y confronte, ne semble plus en être gêné. Et puis la fin avec la ligne d'eau qui se détache, la frontière entre Alexandre et les autres qui disparaît.

Le court-métrage est une succession de tableaux qui visent à montrer la difficulté du personnage à se réapproprier son corps et à se confronter au regard de l'autre. On suit ses difficultés mais son évolution également qui passe par l'aide de son kiné à rompre la distance. La mise en scène possède une poésie un peu brute et il se dégage sensiblement du positif de la fin du film.
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Dernier court-métrage de la soirée, Court-circuit nous propose le visionnage du Sens du toucher de Jean-Charle Mbotti Malolo, ayant fait parti de la pré-sélection pour le meilleur court-métrage d'animation aux Césars 2015.
Nationalité : Français
Année : 2014
Durée : 14 min
Louis est un jeune homme extrêmement allergique aux chats. Il va malgré tout accepter de laisser entrer Chloé chez lui accompagnée d’un animal, afin de la séduire.


15/20

Chloé et Louis sont deux jeunes adultes qui se rencontrent un jour durant la représentation d'une pièce de théâtre pour les mal-entendants. Ils sont en effet sourds-muets, mais cela ne les empêche pas d'être attirés l'un par l'autre et de se le communiquer.

Louis, un brin maniaque, aime que les choses soient propres et rangées. Alors bien sûr, lorsque Chloé vient dîner chez-lui et ramène deux chatons qu'elle vient de trouver dans la rue, les choses se compliquent. Car Louis est en plus allergique aux chats ! Près à faire des concessions pour séduire Chloé, il la laisse entrer. 
Mais au court du dîner, la tension monte. Louis est crispé, il ne parvient pas à se détendre. La présence des chatons va le pousser à révéler son côté le plus sombre au fur et à mesure que son allergie le transforme en monstre.


Seulement accompagnés de bruitage et de silence, les gestes remplacent les mots.
Le ballet des mains de Chloé et Louis, puis de leur corps qui se découvrent, dansent, se rassemblent est plein de joliesse et de poésie. Ça ne passe que par les images et c'est extrêmement touchant.
On découvre l'importance des gestes, la puissance et la portée qu'ils peuvent avoir, parfois bien plus parlant que la parole elle-même. 
Un beau message à faire passer.

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Au court de ce numéro, Court-circuit présentait également le festival Regards Croisés de Nîmes. La manifestation propose des courts-métrages réalisés par des personnes handicapées sur le milieu professionnel. Différentes catégories sont au programme, on y retrouve des films sur le handicap, réalisés par des personnes handicapées mais aussi par des entreprises qui emploient des personnes handicapées. En s'adressant au monde des valides, souvent avec  humour et dérision, le but du festival est de sensibiliser à l'insertion des personnes souffrant de handicaps dans le milieu du travail. 
Cette année, la 7ème édition du festival se déroulera les 1 et 2 octobre.




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