samedi 28 mars 2015

[Découverte] Les courts-métrages québécois

Il y a des moments où je suis plus portée sur les courts-métrages que sur les longs et en fouillant un peu, je tombe toujours sur quelques courts qui me plaisent beaucoup ou me marquent... et qui sont malheureusement, peu ou pas assez (à mon goût !) connus. J'ai choisi une poignée de courts-métrages, tous les trois québécois, qui ont principalement été très remarqués lors de leur diffusion à des festivals auxquels ils ont gagné de nombreux prix.



Douce amère d'Adam Kosh
Durée : 18 min
Année : 2014
Ma note :
16/20

Béatrice et Fanny sont deux sœurs très différentes de respectivement 14 et 17 ans. La plus jeune est introvertie et plutôt effacée tandis que la plus âgée, beaucoup plus ouverte, passe ses soirées à faire la fête.
Le court aborde de nombreux sujets, dont le sujet classique de la quête de soi, surtout durant la période de l'adolescence. On ressent vraiment le besoin de s'affirmer de Béa, surtout vis-à-vis de son aînée. D'ailleurs, les deux actrices principales sont sœurs à l'écran mais également dans la vraie vie, ce qui crée une alchimie palpable entre elles qui rend leurs réactions vis-à-vis de l'autre très spontanées et réalistes.
Béa cherche à grandir ; un pied dans l'enfance, l'autre dans le monde des adultes, la scène où elle essaye la nuisette de sa sœur reflète bien sa difficulté à se retrouver, à se définir. Il y a un décalage assez flagrant entre cette jeune fille à l'air si innocent et les vêtements très sexy qu'elle porte.
Le jour de l'anniversaire de Béa, celle-ci réussi à convaincre sa sœur de l'emmener avec elle à la soirée à laquelle elle se rend. On retrouve l'adolescente plongée en plein dans un milieu où l'alcool coule à flot, où on peut sniffer de la coke simplement en tendant la main et où les jeux de séductions opèrent, souvent accentués par toutes les substances ingurgitées. 
Il y a un aspect assez désillusionné de tous ces excès et du besoin de les afficher. Notamment de la sexualité, qui est ici utilisée comme un moyen de s'affirmer, mais qui n'a rien, finalement, de transcendant. La plus âgée couche de droite à gauche avant de rentrer chez elle, on y voit plus un acte mécanique que réellement érotique. La plus jeune, elle, voit le sexe comme une sorte de curiosité, une finalité qui pourrait la propulser dans un monde plus adulte, aux côtés de sa sœur. Jeune et naïve, elle se laisse entraîner et se retrouve à tester ses limites. 



C'est là qu'intervient la notion de consentement sexuel largement mis en question par le court-métrage. J'ai trouvé cet aspect plutôt réaliste d'ailleurs, le sexe non consentant étant abordé avec beaucoup de subtilité : dans l'échange final entre le garçon et Béa, dans la démarche mal-assurée de celle-ci ou encore dans la réaction de la grande sœur qui comprend ce qu'il s'est passé, et se le reproche sans doute. Pourtant, il ne se dégage pas d'impression malsaine, le scénario du film joue sur le doute, en éclipsant la scène entre Béa et le garçon, se bornant à un baiser avant de revenir lorsque tout est déjà terminé.
Et finalement, le spectateur garde lui aussi cette saveur douce amère (le titre du court est très bien trouvé), cette amertume d'avoir vu dépasser des limites sans réellement le vouloir, sans pouvoir le contrôler, sans en avoir été vraiment conscient. 



Quelqu'un d'extraordinaire de Monia Chokri
Durée : 28 min
Année : 2014
Ma note :
17/20 

Je connais Monia Chokri depuis Les amours imaginaires de Xavier Dolan, film dans lequel elle s'est réellement fait connaître en 2010. J'étais plutôt curieuse au départ lorsque j'ai entendu parler de son premier court-métrage. 
Réalisé et scénarisé par elle-même, le court est produit par Nancy Grant, productrice de Mommy, et monté par Xavier Dolan. Le nom d'Anne Dorval (décidément...) dans le casting a définitivement certifié mon intérêt pour le court-métrage. 
Il faut dire que l'équipe est très prometteuse... et loin d'être décevante ! J'ai adoré ce court-métrage.

Sarah (interprétée par Magalie Lépine-Blondeau, que je suis ravie d'avoir découvert ici ) a la trentaine. Un matin, elle se réveille dans une chambre qu'elle ne reconnait pas, chez des inconnus. C'est le black-out total... et de ce black-out, naîtra d'ailleurs une étincelle qui va enflammer Sarah et la pousser à s'interroger sur sa vie et son avenir. C'est un peu la crise de la trentaine et la remise en question : sa vie est en balance, avec d'un côté une insouciance et des rêves de jeunesse difficile à quitter (elle est en doctorat, ne cherche pas à se fixer) et de l'autre, la crainte d'une vie banale, et un ordinaire routinier. 
Récupérée dans cette maison inconnue par une amie, elle est amenée à un enterrement de vie de jeune fille d'une de leur copine. 
Sarah est mal à l'aise. Avec ses cheveux en bataille et son t-shirt trop grand, on la sent peu en adéquation avec toutes ces femmes pomponnées, propres sur elles... et assez superficielles. Les différents plans qui passent de filles en filles, troncatures de leurs conversations respectives, sont assez représentatifs : les hommes, le sexe, le mariage, la maternité, la chirurgie esthétique. Les dialogues sont plutôt stéréotypés et un brin affligeants. On a du mal à se prendre de sympathie pour cette cohue de femmes relativement clichés qui pensent que le sexe et le mariage sont l'une des seules façons de s'affirmer en tant que femme.



Le personnage de Sarah en devient alors très attachant. Naturelle, intelligente, la tête sur les épaules et portant un regard plus féministe sur le rôle de la femme, elle représente une figure bien plus moderne.
Cette scène d'enterrement de vie de jeune fille est vraiment très drôle. Le scénario joue sur l'aspect tragi-comique et j'ai beaucoup rigolé. Il faut aussi avouer que dans le jargon québécois et avec l'accent qui va avec, voir une poignée de femmes se taper dessus (à coup de mots, mais pas que !) a de quoi prêter à sourire. Tout comme le personnage interprété par Anne Dorval qui apparaît assez brièvement, mais qui est fidèle a ce que sait jouer l'actrice avec son petit côté excentrique. J'ai beaucoup aimé la retrouver ici.
Une chose est sûre, j'irai voir le premier long métrage de Monia Chokri avec plaisir.




Tala de Pier-Philippe Chevigny

Durée : 13 min
Année : 2014
Ma note :
16/20

Tala est une jeune femme d'origine philippine travaillant comme domestique chez une famille bourgeoise de Montréal. 
Durant treize minutes, on suit ce qui débutait comme une journée de travail ordinaire. Filmé en plan-séquence, l'immersion dans l'histoire se fait sans interruption et on suit Tala durant ce quart d'heure qui va bouleverser le court de sa vie. 
La critique de la situation est flagrante. On a un aperçu du comportement des employeurs face à leur employée, des tâches que la patronne de Tala lui assigne avec froideur : nettoyer la table, faire la vaisselle, ranger. D'un côté, on se sent un peu mal à l'aise face à la pression à laquelle Tala est confrontée, et la position de soumission devant laquelle elle se retrouve : elle doit garder son travail pour pouvoir avoir ses papiers. En parallèle, on sent que la femme et son mari ont conscience du pouvoir qu'ils exercent sur Tala. J'ai été un peu gênée par le manque de respect, en filigrane, mais tout de même flagrant : ils l'infantilisent, la gronde, lui font des reproches pas toujours justifiées. Comme si Tala n'était finalement "que" la bonne et qu'il était normal de si peu la considérer. C'est pourquoi, lorsque Tala commet l'affront de décrocher son téléphone alors qu'elle n'est pas en pause, sa patronne s'énerve si facilement. Mais voilà, les coups de fil vont se répéter. 



On sent la montée progressive de la tension à mesure que les appels sonnent dans le vide, qu'elle n'ose pas décrocher et qu'elle est tiraillée entre garder son emploi et prioriser sa vie privée. La fin tombe comme un couperet. Je m'attendais à ce que la chute soit frappante, mais pas à ce qu'elle soit abordée sous cet angle. On se sent un peu désarçonné, à l'image de la famille, devant la stupeur des images que l'on a sous les yeux. 
Un court-métrage à la chute troublante, porté par l'engagement du réalisateur et le fort poids social du message à faire passer.



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