dimanche 15 mars 2015

[Livre] Damnés de Chuck Palahniuk

Sonatine, 2014
289 pages
Date de parution originale : 2011
Titre Vo : Damned

Madison, 13 ans, est la fille d'une star du cinéma et d'un producteur milliardaire. Élevée dans la religion du fun et de la culture pop, elle passe un Noël ennuyeux seule dans son pensionnat en Suisse, tandis que ses parents se consacrent à leurs projets professionnels et à l'adoption d'orphelins du tiers-monde. Mais un événement inattendu va venir illuminer ses vacances : sa mort subite. 
La jeune fille débarque alors en Enfer...

13/20

Après quelques lectures au style plutôt gentillet, j'avais envie de retrouver la verve exceptionnellement cynique de Chuck Palahniuk et ses trash fictions si venimeuses. Je sors de ma lecture très mitigée. Je vais sans doute être destinée à finir tout droit  en Enfer après un avis pareil, mais ça ne fait rien, je prends le risque !

Madison est une jeune fille de treize ans pour le moins atypique. Ronde à lunettes, banale mais intelligente, elle est l'enfant d'un producteur milliardaire et d'une star de cinéma et surtout... elle vient subitement de mourir et se retrouve plongée en plein dans les entrailles de l'Enfer. 
« Croyez-moi, la mort, une fois qu’on y est, c’est beaucoup plus facile que l’acte de mourir. Si vous êtes déjà capable de rester de longues heures devant la télé, la mort sera une partie de plaisir. D’ailleurs, regarder la télé et surfer sur Internet sont d’excellents entraînements à la mort. »
Nous voilà donc partis pour aller faire un tour dans le haut lieu de la damnation éternelle !
Dans sa cage toute crasseuse, Madison fait la connaissance d'une bande de jeunes aux personnalités hétéroclites bien que complètement stéréotypées. Archer le rebelle punk avec sa crête bleue et ses épingles à nourrice plantées dans le corps, Léonard l'intello débitant constamment sa science, Patterson le sportif aux neurones limités, et Babette la jolie fille superficielle qui, même en Enfer, ne se préoccupe que de ses chaussures à talon et de son vernis à ongles. 
Le petit groupe aurait pu être intéressant mais chacun reçoit un développement un peu trop simpliste pour qu'on s'attarde vraiment sur leur passé ou leur sort. Maddy a beau être la protagoniste, elle prend beaucoup de place et éclipse souvent les autres personnages.

L'Enfer, chez Palahniuk, ce n'est pas si horrible. Bien sûr, il existe des contrées plus accueillantes, les diverses lacs de déchets organiques (sang, déjections, ongles, et autres joyeusetés) et les collines de détritus variés y sont sans doute pour quelque chose. Les centaines de démons de toutes les cultures et religions existantes se baladant, démembrant et dévorant les damnés qu'ils croisent (même s'il se régénèrent ensuite, eh oui, la mort a des avantages !) doivent également jouer. 
Cependant, il y a aussi les montagnes de Twix, Mars, Milky Way, Pop corn et autres confiseries qui croulent un peu partout, la facilité pour trouver un job (dans le porno ou le télémarketing) et la diversité des gens qu'on y retrouve. Oui, parce qu'il est facile d'aller en Enfer. Être un peu trop injurieux de son vivant, jeter trop de mégots par terre, klaxonner trop souvent, ne pas se laver les mains en sortant des toilettes. Il y a donc du monde parmi les damnés !
« Ne vous méprenez pas. L’Enfer, ce n’est pas si terrible que ça, comparé au camp écologie, et surtout comparé au collège. Taxez-moi de fille blasée, mais ce n’est pas si terrible comparé à ce qu’on endure quand on se fait épiler ou percer le nombril dans une galerie marchande. Ou quand on est boulimique. Même si je ne suis pas une über-pouffe complètement déréglée sur le plan alimentaire. »
On suit l’ascension de Maddy dans ce nouvel univers pas si hostile, sa prise de confiance et sa remise en question tandis qu'en parallèle elle réfléchit aux raisons de sa mort et à son ancienne vie de vivante. Viennent alors toutes les critiques et le ton délicieusement cynique de l'auteur qui rentre en jeu. À travers ses parents, tout deux anciens hippies, militants, écolos et riches hypocrites, elle vise la société de consommation, le culte de la célébrité, l'absurdité de son ancien mode de vie avec ses maisons dans chaque pays, ses nouveaux frères et sœurs adoptés à chaque nouvelle promotion de film de sa mère et j'en passe. Le ton est tranchant et sardonique et on sourit plusieurs fois... au début. Les critiques et mêmes arguments s’enchaînent et se répètent, jusqu'à en devenir rébarbatifs.
« Si l’Enfer existait, ma mère disait qu’on y enverrait les gens qui portent des manteaux de fourrure et qui achètent des laits démaquillants testés sur des lapereaux par des scientifiques nazis réfugiés en France. Mon père disait que si le diable existait, c’était Ann Coulter. S’il existait un péché mortel, pour ma mère, c’était le polystyrène. La plupart du temps, ils débitaient ce credo environnemental en se baladant tout nus avec les rideaux ouverts dans le but que je ne devienne pas une Miss Perverse en grandissant. »
J'avais réellement envie d'aimer cette lecture. Chuck Palahniuk est en général une valeur sûre et avec leurs titres, les éditions Sonatines visent souvent dans le mille. Mais cette fois, ça n'a pas fonctionné. Malgré l'idée prometteuse, je suis restée dubitative et sur ma faim. Tout ça m'a semblé très fade en comparaison avec ce que le résumé nous promettait.
Le roman n'est pas mauvais, loin de là. Il est plutôt plaisant à lire et l'histoire a un très bon concept. Malheureusement, c'est un roman de Palahniuk et ayant adoré tous les autres livres que j'ai déjà lu de lui, j'ai des exigences et Damnés m'a déçue.
Je n'ai pas du tout aimé Madison que j'ai trouvé agaçante et condescendante à souhait. Les fameuses anaphores de l'auteur, à retrouver en partie au début de chaque chapitre, y sont sans doute pour quelques choses. Si j'adore retrouver cette figure de style chez Palahniuk, ici, devoir subir les considérations et suppliques d'une gamine de treize ans pendant près de trois cents pages m'a vite lassée.
« Eh, oui, je connais le mot genre. Merde alors ! Je suis peut-être grassouillette et myope, plate comme une planche à pain, je suis peut-être morte, mais je ne suis PAS une andouille. »
L'histoire met du temps à démarrer, c'est laborieux à se mettre en place. Au bout de quelques chapitres, l'intérêt décolle grâce à l'exploration de l'Enfer et la découverte des hordes de démons qui le peuplent. Cependant, ça ne tient pas et on recommence bien vite à s'ennuyer. Je ne sais pas si c'est du à notre jeune narratrice (probablement) mais ce regard adolescent et parfois un peu niais sur les choses m'a dérangée. J'aime les critiques de Palahniuk sur la société mais quand elles ont du sens, pas quand elles semblent être si peu naturelles et forcées. De la bouche d'une enfant de treize ans, cela sonnait juste très pédant.

Une déception pour ce dernier roman de Palahniuk que même un twist final plutôt intéressant et une fin ouverte qui annonce une suite ne parviennent pas à minimiser. 




5 commentaires:

  1. Diantre, encore un...
    J'avais déjà eu du mal à digérer son "A l'estomac" (2006) que j'avais trouvé lourd et peu intéressant par cet auteur qui m'avait tant subjugué par le passé. L'histoire... Ben en fait, il n'y avait pas vraiment d'histoire ; c'était juste prétexte à dérouler 23 personnalités en repoussant les limites du glauque - s'il y avait une critique de la télé-réalité, elle était bien loin...
    Bref, j'ai l'impression que le monsieur a changé la flamme de ses débuts pour une autre moins pertinente à mes yeux...

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    1. C'est tout à fait l'impression que j'ai.
      Avant, on sentait que Palahniuk avait des choses à dire (et à critiquer !) parce qu'il y avait du sens à ce qu'elles soient dites. Maintenant, on a le sentiment qu'il dit les choses simplement parce qu'il faut les dire, que le propos derrière soit pertinent ou pas.

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  2. Pire que ça : avant, il dénonçait avec des scènes chocs qui correspondait en miroir à l'horreur de ce qu'il décrivait ; maintenant, c'est automatique. Il ne dit pas des choses parce qu'il faut les dire (ou alors je n'ai pas pleinement saisi ton idée) mais simplement parce que ça marche. C'est sa marque de fabrique alors il y va. A l'estomac m'a totalement fait cette impression : une histoire creuse avec plein de trucs crades parce qu'il est fort là-dedans...

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  3. Oui, je me suis mal exprimée :p
    Je voulais dire qu'il continue à faire du Palahniuk parce qu'il faut le faire (c'est ce que les gens attendent de lui) mais, de fait, je n'ai plus l'impression qu'il a la niaque comme avant, c'est du coup moins bon.
    C'est peut-être aussi que c'est moins novateur à force, alors on finit par se lasser ^^
    En tout cas, pour quelqu'un qui voudrait se lancer dans la découverte de l'auteur, ce n'est clairement pas Damnés que je recommanderais, et d'après ce que tu dis, ses derniers en général non plus. Rien de mieux que Fight Club ou Monstres Invisibles de toute façon ^^ En attendant, il me reste toujours Survivant que j'ai dans ma PAL depuis un moment.

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  4. Ah ! Monstres Invisibles ! Mon préféré !
    J'avais aussi adoré Survivant !

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