lundi 14 décembre 2015

[Livre] Tous nos jours parfaits de Jennifer Niven

Gallimard Jeunesse, 2015
384 pages
Date de parution originale : 6 janvier 2015
Titre VO : All the bright places

Quand Violet Markey et Thedore Finch se rencontrent, ils sont au bord du vide, en haut du clocher du lycée, décidés à en finir avec la vie. Finch est la "bête curieuse" de l'école. L'excentrique tourmenté et impulsif dont personne ne recherche la présence, qui oscille entre les périodes d'accablement dominées par des idées morbides et les phases "d'éveil" où il déborde d'énergie vitale. De son côté, Violet avait tout pour elle. Mais neuf mois plus tôt, sa sœur adorée est morte dans un accident de voiture. La survivante a perdu pied, s'est isolée et s'est laissée submerger par la culpabilité. Pour Violet et Finch, c'est le début d'une histoire d'amour bouleversante, l'histoire d'une fille qui réapprend à vivre avec un garçon qui veut mourir.

14/20

Je ne sais pas quoi dire de ce roman. Toute sa lecture m'a fait faire le yoyo émotionnellement. Un coup agacée, un coup déçue, un coup amusée, un coup touchée. Il en résulte que j'ai du mal à savoir ce que j'en ai réellement pensé. J'ai apprécié ma lecture dans l'ensemble, et Tous nos jours parfaits est très loin d'être un mauvais livre (au contraire même), mais... Voilà le problème, ce fameux "mais" a fini par pointer le bout de son nez.
« J’ai appris qu’il y avait du bon dans ce monde, si on prend la peine de bien chercher. J'ai appris que tous les êtres humains ne sont pas forcément décevants, moi y compris, et j’ai appris qu’un tas de terre de 387 mètres peut sembler plus haut qu’une tour quand on s’y perche avec la bonne personne. »
Je me suis plus attachée aux personnages que je pensais pouvoir le faire au début. Ou à Finch, du moins. C'est, après tout, le vrai personnage central du livre. Le plus intéressant, le plus ambigu, celui qui, dans ses grands moments, provoque en nous ce petit quelque chose qui fait la différence. Les autres personnages m'ont souvent semblé bien fades en comparaison. Même Violet ! C'est un personnage appréciable, on  ne peut pas la haïr face à ce qu'elle endure, mais ça s'est arrêté là me concernant.
« Tu me rends joli, et c'est tellement agréable d'être joli pour celle que j'aime... »
Alors, certes, le roman a un bon personnage central, mais ça ne suffit pas à faire une bonne histoire. Et ici, c'est clairement l'histoire qui me déçoit. Pas pour sa romance, je suis romantique dans l'âme, j'aime l'idée que deux personnes esquintées par la vie puisse se trouver, tomber amoureuses et se (re)construire ensemble. Surtout quand elles sont si différentes que Finch et Violet. Ça ne paraît pas si irréaliste en plus de ça. C'est souvent lors de grands bouleversements que l'on est amené à changer sa manière de voir les choses, les gens, les événements. Alors pourquoi pas ? En plus de ça, j'ai beaucoup aimé certains des moments de complicité entre les deux, ces petites idées farfelues et naïves que peuvent être la construction d'un bout d'espace et de ses étoiles dans un placard, ou le fait de se parler à coup de citations de grands auteurs.
« Je me demande si, en comptant à rebours, je pourrais remonter le temps et emporter Violet Markey avec moi, pour qu’on ait plus de temps ensemble. Parce que j’ai peur du temps.

Et de moi.
J’ai peur de moi-même. »
Malheureusement, ça non plus, ça ne suffit pas à faire une bonne histoire. Tout ce qui m'embête finalement, dans Tous nos jours parfaits, c'est la manière dont les événements sont abordés. Rien ne m'a semblé abouti, tout tombe dans la facilité trop rapidement.
« Tu es toutes les couleurs en une, à leur maximum d'éclat. »
Il en résulte une histoire au style joliment simpliste, bourrée de bonnes idées, mais qui ne semblent être restées qu'au stade de bourgeons. J'aurais aimé les voir éclore pourtant. Voir ces idées étoffées et donner une vraie consistance au roman. J'aurais aimé que cette histoire puisse être une vraie prise de conscience, comme une claque, au sujet du suicide, des troubles psychiatriques, du deuil, de tous ces thèmes difficiles qu'elle aborde. Ce ne fut pas le cas en ce qui me concerne et c'est bien dommage, il y avait beaucoup de potentiel.



vendredi 4 décembre 2015

[Livre] Red Hill de Jamie McGuire

J'ai lu, 2015
381 pages
Date de sortie originale : 1 octobre 2013
Titre VO : Red Hill

Scarlet est divorcée et mère de deux petites filles. Les élever seule est un combat quotidien qu'elle mène avec ténacité. Marié depuis plusieurs années à une femme de plus en plus distante, Nathan n'a qu'un vague souvenir de ce qu'est l'amour. En revanche, sa petite Zoe le comble de bonheur tous les jours. Miranda, elle, n'a qu'une préoccupation : l'organisation d'un week-end à la campagne avec sa soeur Ashley et leurs copains respectifs. Lorsque leur monde s'effondre, ces personnages ordinaires vont devoir affronter l'extraordinaire. Il leur faudra prendre en main leur destin pour avoir une chance de survie. Mais qu'arrive-t-il quand ceux pour qui vous êtes prêt à mourir sont aussi ceux qui peuvent vous détruire...?

14/20

Si les zombies poursuivent leur invasion dans la littérature depuis quelques temps, je n'avais jamais lu le genre zombiesque abordé sous une facette plus sentimentale, voire romantique par moment.
Car c'est ce qu'est Red Hill : plusieurs romances contemporaines qui se placent dans un univers apocalyptique peuplé de zombies.

J'ai été un peu surprise par ce parti pris, celui de, par moment, se concentrer d'avantage sur les sentiments et émotions des personnages que sur l'action en elle-même  (qui ne manque pas pourtant). En pleine apocalypse zombies, on attend peut-être un rythme plus effréné sur toute la longueur du roman plutôt que de temps  à autres.
« Heureusement qu'on est vendredi.   Heureusement qu'on est vendredi.   Heureusement qu'on est vendredi.   Juste avant de couper le contact, j'entendis à la radio un nouveau compte rendu de l'épidémie frappant l'Europe. Avec le recul, tout le monde savait ce qui se passait, mais c'était resté si longtemps un sujet de plaisanterie que nul ne voulait plus croire que cela arrivait réellement. Entre les séries télés, les bandes dessinées, les livres et les films traitant de morts vivants, il n'y avait rien de surprenant à ce que quelqu'un soit à la fois assez brillant et dérangé pour essayer d'en faire une réalité.   Je sais que la fin du monde a eu lieu un vendredi. C'est la dernière fois que j'ai vu mes enfants. »
Si l'histoire est plus ou moins courue d'avance, on prend tout de même plaisir à découvrir les protagonistes, à suivre les points de vue en alternance de Nathan, Miranda et Scarlett, à découvrir leur cheminement jusqu'à cette fameuse ferme de Red Hill qu'ils cherchent tous à rejoindre d'une façon ou d'une autre pour se mettre à l'abri. 
« Avant l’arrivée de la maladie, attendre était agaçant. À présent que les morts marchaient parmi les vivants, cela procurait la même sensation de viol qu’un cambriolage, le même désespoir que lorsque l’on perd quelque chose d’aussi précieux que ses clés ou son alliance, la même crainte insupportable qui nous affecte quand notre jeune enfant disparaît dans la foule d’un centre commercial, le tout compacté dans une unique boule d’émotions. »
D'ailleurs, le récit se coupe facilement en deux parties : l'avant Red Hill, et lorsqu'ils sont enfin tous là-bas. (Promis, ça ne spoile pas, comme je le disais plus haut, c'est couru d'avance, on sait absolument dès le début qu'ils vont tous se retrouver dans cette petite ferme isolée.)
Dans l'idée d'un roman sur les zombies avec toute l'horreur qu'implique une épidémie qui vient de débuter, la première partie m'a plus captivé. C'est ce côté apocalyptique qui me plaît, quand la panique s'installe et que le monde s'effondre. L'auteur le met plutôt bien en scène et j'ai apprécié l'idée que des femmes aux enfants, des jeunes aux vieux, des méchants aux gentils, personne ne soit épargné. Dans ce roman, tout le monde court le risque d'y passer, des simples figurants aux personnages principaux ou à leurs proches.
«  À moins d’habiter dans une grotte, tout le monde savait que le seul moyen de tuer quelqu’un déjà réputé mort était de lui exploser la cervelle. »
En passant, j'ai beaucoup aimé le fait que tout le monde sache ce qu'est un zombie ! Dans beaucoup de romans, films, comics, les zombies semblent tomber du ciel sans que personne n'ait jamais entendu parler de ceux-ci. C'est pourtant un élément très important du folklore horrifique, il semble difficile de croire que personne ne sache ce qu'ils sont. C'est pour ça que j'ai trouvé cet aspect très sympa : tous ont déjà vu des films ou séries sur les zombies, ils savent ce qu'ils sont et comment s'en débarrasser. Ça change !
« Regarder un film de zombies était une chose, regarder des zombies défiler sous votre fenêtre en était une autre. »
Si la première partie est donc plus concentrée sur la survie, la partie sur Red Hill cible plus les relations entre les personnages. Ça m'a parfois paru un peu en décalage, Red Hill ressemble  à un petit îlot en dehors du temps et les personnages vaquent à leurs occupations, se disputent, tombent amoureux, s'installent dans une routine qui semble parfois bien en décalage avec ce qu'il se passe dans le monde extérieur. 

C'est sans doute ce qui a fait basculer le roman de "J'ai adoré" à un simple "J'ai aimé" : malgré l'écriture fluide et simple de l'auteur et l'histoire qui se suit plaisamment, je dois avouer que j'apprécie les histoires d'amour lorsqu'elles sont moins conventionnelles, et au contraire, les histoires de zombies lorsqu'elles le sont plus.



vendredi 6 novembre 2015

[Livre] Une nuit à New York de David Levithan et Rachel Cohn

Lgf - Le livre de poche, 2012
224 pages
Date de parution originale : 2006
Titre VO : Nick and Norah's Infinite Playlist

« Il y a trois semaines, deux jours et vingt-trois heures qu'elle m'a dit " c'est fini ". Et la voilà déjà avec un autre. Ils s'approchent du comptoir. Il faut que j'agisse. Je me tourne vers une fille que je ne connais même pas, et je lâche : Tu veux bien être ma copine pendant les cinq prochaines minutes ? » 
Nick et Norah n'ont rien en commun. Sauf un premier baiser, censé durer cinq minutes. Et qui va se prolonger toute une nuit. Une seule nuit ?

15/20

J'avais beaucoup aimé le film il y a quelques années (même s'il faudrait que je le revois aujourd'hui pour me refaire une petite idée) et c'est en partie pour cette raison que je voulais découvrir le roman de David Levithan et Rachel Cohn. Et c'est bien simple : l'histoire d'amour entre Nick et Nora prend tellement plaisir à casser les codes et dégage tellement de naturel que j'ai adoré ma lecture.

J'ai beaucoup aimé suivre cette romance en alternance du point de vue des deux protagonistes. Découvrir la façon de penser de chacun de ces deux ados un peu perdu, leurs attentes, leurs goûts musicaux, leurs particularités tout au long de cette nuit. Les deux visions se complétaient au final très bien et je n'ai pas trouvé un seul des passages de ce roman en trop ou inutile.
« Les riffs virevoltent autour de nous en une tornade qui se resserre et se resserre et se resserre ; nous sommes au centre du cyclone, au centre l’un de l’autre. Mon poignet effleure le sien à l’endroit exact où battent nos pouls, et je vous jure que je perçois le sien, cette vibration. Roc immobile, nous bougeons au rythme de la musique. Au lieu de me perdre dans le torrent, je la trouve. Et elle… oui, elle aussi me trouve. »
Placer cette rencontre sur fond de musique donne un petit charme particulier à l'histoire, un style un peu rétro, un brin grunge, qui change de ces petites amourettes à l'eau de rose. Une rencontre qui dure le temps d'une nuit. Durant toute la nuit, Nick et Nora se perdent de vue, se retrouvent, se heurtent, s'apprivoisent. J'ai vraiment apprécié la spontanéité qui se dégage du couple qu'ils finissent par former.
« L’accord parfait. Pas parce qu’un morceau de moi s’emboîte dans un morceau d’elle ; parce que nos mots s’encastrent les uns dans les autres pour former des phrases ; parce que notre dialogue dessine la scène d’un film continu aussi familier qu’il est improvisé. »
Bon et puis, l'écriture des deux auteurs m'a conquise. Certains passages possèdent juste ce qu'il faut de joliesse et de vérité pour réussir à toucher, faire rire ou tout simplement pour comprendre la frénésie (amoureuse !) qui s’abat sur les personnages.
« J'emmerde Tris. Je donnerais un rein pour qu'un type m'écrive des choses de ce style. Les deux, même. Tiens, Nick, ils sont à toi... Simplement, écris pour moi. Voilà le point de départ : un garçon dans une boite punk demande à une fille zarbi d'être sa copine pendant cinq minutes, la fille embrasse le garçon, le garçon lui rend son baiser, le garçon apprend ensuite à connaître la fille... Qu'as-tu vu chez cette fille ? Nick, chante pour moi. Je t'en supplie. A vos marques. Prêts. Partez. »
Une chouette nuit toute en musique, coup de foudre et building new-yorkais.




lundi 2 novembre 2015

[Livre] Les profondeurs de la Terre de Robert Silverberg

Lgf - Le livre de poche, 2012
285 pages
Date de parution originale : 1970
Titre VO : Downward to the Earth

Ancien administrateur colonial de Belzagor, Gundersen revient sur cette planète après qu'elle ait obtenu son indépendance. Il voudrait renouer avec son passé et trouver la paix en expiant ses fautes et toutes celles commises sur ce monde par les terriens. C'est pourquoi il s'enfonce dans la jungle épaisse et profonde, à la recherche d'un mystérieux Pays de la Transformation. Il espère y découvrir aussi le secret de l'entente des deux espèces intelligentes de Belzagor, les Nildoror herbivores qui ressemblent un peu à des éléphants et les Sulidoror carnivores, bipèdes humanoïdes. Car tout se tient dans la vie sur ce monde. Et bien plus qu'il ne le croit.

15/20

Lu sur un coup de tête et pour un challenge, la quatrième de couverture m'avait donné quelques réticences : le roman est court et l'univers semblait dense à assimiler en si peu de pages. Pourtant, dès les premières lignes, j'ai vite compris que, décidément, chaque roman de Robert Silverberg est une surprise.
« Il était finalement sur la Terre de Holman. Il ne savait d'ailleurs pas trop pourquoi. Peut-être à cause d'une attirance irrésistible ; peut-être par sentimentalité ; ou peut-être même sur un coup de tête. Gundersen n'avait jamais envisagé de revenir sur cette planète. Et pourtant, il était là, debout devant l'écran panoramique, attendant l'atterrissage, contemplant la sphère qui était assez proche pour qu'il pût la prendre et l'écraser dans sa main. Un monde légèrement plus gros que la Terre, un monde qui lui avait pris les dix plus belles années de sa vie, un monde où il appris sur lui-même des choses qu'il aurait préféré ne pas connaître. »
Greffant un discours post-colonialiste sur une histoire de science-fiction, Silverberg nous propose un voyage sur la planète Belzagor, ancienne colonie terrestre désormais abandonnée. Gundersen, ancien administrateur dans cette colonie, retourne sur la planète des années après que les humains l'aient quitté... et des années après que les peuples autochtones aient repris leurs droits sur leur monde.
« Il existe sur chaque monde certaines cases qui doivent être remplies. La Création suit partout les mêmes chemins. »
Il y a un véritable cheminement de pensée vis-à-vis du colonialisme et de la nature des hommes. Durant toute l'histoire, qui finit, pour Gundersen, par prendre des allures de quête initiatique et identitaire, le personnage est amené à s'interroger sur la nature humaine et sur la prétendue domination des hommes. Au contact des deux races autochtones pré-dominantes, les Nildoror et les Sulidoror, ses idées évoluent et la prise de conscience est flagrante. J'ai beaucoup aimé suivre l'évolution de la pensée de Gundersen selon ses rencontres, des rares humains vivant encore sur Belzagor, aux Nildoror qui l'accompagnent durant une partie de son voyage.
« À quoi cela nous mène-t-il ? Pourquoi ne pouvons-nous nous entraider ? Nous sommes deux êtres humains perdus sur un monde bien plus étrange et bien plus mystérieux que la plupart des gens le croient ; si nous ne pouvons nous donner mutuellement de l’aide et du réconfort, à quoi servent les liens de l’humanité ? »
Tout au long du roman, on retrouve vraiment le style de l'auteur, ce genre de SF pleine de détails, qui tourne autour d'un univers très complet... mais qui reste très simple à comprendre et à savourer. Les descriptions de Belzagor, de sa faune et de sa flore, sont magnifiques et très détaillées, on imagine sans mal toutes les singularités de ce monde un brin mystique dans lequel Gundersen entame une quête qui le changera à jamais.

Un périple riche en enseignements dans un univers fascinant. Robert Silverberg fait désormais partie de ces auteurs dont j'attaquerai un roman sans la moindre appréhension.




mercredi 28 octobre 2015

[Livre] H2G2, tome 2 : Le Dernier Restaurant avant la Fin du Monde de Douglas Adams

Gallimard - Folio SF, 2000
224 pages
Date de parution originale : 1 juin 1980
Titre VO : The restaurant at the end of the universe

Pas de panique ! Votre Guide galactique en poche, vous voilà prêt à affronter les pires épreuves que recèlent les gouffres de l'espace : le Vortex à Perspective Totale, les concerts d'Oscar Paulette (fameux chanteur de plutôt-rock cataclysmique), les Allègres Transports Verticaux de la Cybernétique de Sirius, et... le plat du jour du Dernier restaurant avant la fin du monde. Bon appétit et bonne route !

14/20

Un an après avoir lu le premier tome d'H2G2, je me décide enfin à attaquer la suite. Il m'en aura fallu du temps pour aller le visiter, ce fameux restaurant de la fin du monde. Il faut dire qu'après un premier tome haut en couleurs et bourré d'humour, j'avais un peu peur d'être déçue par une suite qui ne serait pas aussi bonne. 
Et ce fut malheureusement le cas.
« D’après une théorie, le jour où quelqu’un découvrira exactement à quoi sert l’Univers et pourquoi il est là, ledit Univers disparaîtra sur-le-champ pour se voir remplacé par quelque chose de considérablement plus inexplicable et bizarre.Selon une autre théorie, la chose se serait en fait déjà produite. »
On retrouve dans ce deuxième roman l'humour et l'absurde qui marchent si bien dans cette saga et qui lui donnent toute son originalité. J'ai beaucoup aimé retrouvé les personnages, leurs manies, leur nonchalance, leur cynisme et l'univers de SF si original et farfelu dans lequel ils évoluent.
« L’Univers (comme on a déjà pu l’observer) est un endroit aux dimensions considérablement inquiétantes par leur gigantisme (un fait que, pour leur petit confort personnel, la plupart des gens ont tendance à vouloir ignorer). »
Mais (puisqu'il y a bien sûr un "mais"), c'est l'histoire qui pêche en ce qui me concerne. Trop abracadabrante, elle m'a souvent perdue. C'était bien parti pourtant, le premier chapitre est un concentré de tout ce que j'avais aimé dans le premier tome. Mais bien vite, mon intérêt s'est un peu éteint. J'ai bien aimé l'idée de ce restaurant perdu dans sa boucle temporelle, ou les idées sur la théorie de l'évolution. Pour le reste, j'aurais aimé quelque chose de plus linéaire, qui se perde moins dans des histoires parallèles.
« L’Histoire de toute civilisation galactique de quelque importance tend à traverser trois stades distinctement reconnaissables : celui de la Survie, celui de la Recherche, enfin celui de la Sophistication, également connus sous le nom de stades du Comment, du Pourquoi et du Où ? Par exemple, le premier stade est caractérisé par la question : Comment manger ? le second, par la question : Pourquoi manger ? et le troisième par la question : Où va-t-on bien déjeuner ? »
Bon, heureusement tout n'est pas à jeter (bien au contraire) et il faut reconnaître à Douglas Adams sont esprit délicieusement loufoque. Ça a au moins le mérite de faire passer un bon moment de lecture, tout en humour et légèreté. À voir ce que donnera le troisième tome.



vendredi 23 octobre 2015

[Film] Un + Une de Claude Lelouch

Français - 1h53
Sortie en France le 9 décembre 2015
Avec : Jean Dujardin, Elsa Zylberstein, Christophe Lambert

Antoine ressemble aux héros des films dont il compose la musique. Il a du charme, du succès, et traverse la vie avec autant d’humour que de légèreté. Lorsqu’il part en Inde travailler sur une version très originale de Roméo et Juliette, il rencontre Anna, une femme qui ne lui ressemble en rien, mais qui l’attire plus que tout. Ensemble, ils vont vivre une incroyable aventure…

15/20


J'ai vu le film en avant-première lors du Festival du Film Francophone d'Angoulême en août dernier, Un + Une était alors mon premier film de Claude Lelouch, dont je n'avais encore jamais vu de longs-métrages (et c'est toujours le cas d'ailleurs, il faudrait vraiment que je m'y mette). Outre le plaisir de voir une partie de l'équipe du film faire une apparition à la projection pour présenter le film, j'étais plutôt contente d'enfin pouvoir découvrir le réalisateur. Surtout qu'Un + Une m'a plu et m'a donné envie de jeter un œil plus attentif à la filmographie de celui-ci !

Le film raconte une romance passagère mais presque fulgurante sur fond de paysages indiens. Il livre l'histoire de la relation entre un homme et une femme dans toute la complexité que ça implique, mais tout en restant très épuré. J'ai beaucoup apprécié ce fil conducteur qui garde en permanence une simplicité déconcertante. On parle d'amour, on parle d'adultère, de tromperie mais rien ne semble jamais être compliqué car c'est spontané, la romance ne s’encombre pas réellement des usages et baigne dans la franchise la plus totale. Le film prend ainsi plaisir à briser les lieux communs et clichés. 

J'ai été très surprise par la liberté donnée aux acteurs dans leur interprétation qui devient alors très naturelle. Ces moments d'improvisations donnent l'impression que l'on pourrait croiser les personnages dans la rue et assister à leurs échanges de la même façon dont on les observe de derrière nos écrans. Cette aisance des acteurs à se renvoyer la balle m'a d'ailleurs énormément plu. Jean Dujardin est excellent dans ce type d'exercice et Elsa Zylberstein est une partenaire tout à fait à la hauteur. La connivence entre les deux acteurs était palpable et n'en rendait l'histoire que plus plaisante.




Et puis, surtout, le film fait voyager. On passe du ton taquin et comique des échanges entre les deux protagonistes aux magnifiques images d'une Inde présentée dans toute sa spiritualité. Des bords du Gange et de toutes les croyances qui y sont associées à Amma la gourou indienne et son humilité inconditionnelle, on se retrouve face à une spiritualité très douce, très éthérée, qui apporte un petit côté magique et hors du temps au film. Un peu à l'image de la romance entre les deux personnages finalement : quelque chose de très spontané qui s'ouvre et se referme, comme une parenthèse.

En tout cas, si les personnes ayant vu le film avec moi ont été plutôt déçues (connaissant le réalisateur, j'ai eu le droit au fameux "c'était mieux avant"), moi qui ne connaissait pas tout Claude Lelouch, j'ai pris le film sans pouvoir le comparer à d'autres et, de l'histoire à la réalisation en passant par les acteurs, j'ai été totalement conquise. 






jeudi 15 octobre 2015

[Challenge] Lecture : Cadavre exquis d'Halloween



Cette année, pour se retrouver ensemble autour du thème d'Halloween sur Booknode, on propose un petit jeu sous forme de challenge : un cadavre exquis revisité !
Le Challenge se déroulera du 15 octobre au 15 novembre.





  • Pour commencer, vous choisissez un des méchants parmi les vingt proposés (étiquettes chauve-souris).
  • Une première personne vous choisit un lieux parmi les quinze proposés (étiquettes oranges vif).
  • Une deuxième personne vous choisit une action parmi les quinze proposées (étiquettes grises).
  • Une troisième personne vous choisit un objet parmi les quinze proposés (étiquettes oranges clair).
  • Une quatrième personne vous choisit une victime parmi les vingt proposées (étiquettes pierres tombales).
  • Ajoutées à votre étiquette "Méchant", vous vous retrouvez avec cinq étiquettes, qui forment une phrase complète.
    Exemple : Cujo - Usine désaffectée - Assommer - Scie - Jon Snow
    --> Cujo qui assomme Jon Snow avec une scie dans une usine désaffectée.







  • Chacune des 85 étiquettes est reliée à une consigne.
  • Bien entendu, elles vous sont inconnues, et vous seront données lorsque vous aurez votre phrase.
  • Une phrase correspond donc à cinq consignes.
  • Chaque participant aura sa propre phrase construite par tous.
  • Pour valider le challenge, il vous faut remplir au moins trois de ces consignes, en les cumulant ou pas, comme vous l'entendez.
  • Dans l'idée que tout le monde puisse participer, les consignes ne tournent pas forcément autour du thème de l'horreur. Elles sont souvent suffisamment ouvertes pour englober le fantastique, les thrillers, les romans à suspense. Vous pouvez lire ce que vous voulez, mais essayez de rester dans l'esprit du thème du challenge : Halloween !


Le challenge se déroule sur le forum du site et réunit déjà quelques participants, ce qui est plutôt chouette vu que je ne pensais pas que ça marcherait si vite ^^ En espérant que l'enthousiasme dure jusqu'à la fin du défi !

lundi 12 octobre 2015

[Livre] La Maison du sommeil de Jonathan Coe

Gallimard, Folio - 2000
459 pages
Date de parution originale : 29 mai 1997
Titre VO : The House of Sleep

De bien curieux événements se déroulent à Ashdown, inquiétante demeure perchée sur une falaise des côtes anglaises. Naguère, c'était une résidence universitaire, où se sont croisés Sarah la narcoleptique, Gregory le manipulateur, Veronica la passionnée, Robert l'amoureux transi, Terry le cinéphile fou. Leurs destins ont divergé, mais les spectres du passé continuent de hanter Ashdown, devenue une clinique où le sinistre docteur Dudden se livre à de monstrueuses expériences sur les troubles du sommeil. Par quelles mystérieuses coïncidences tous les personnages vont-ils s'y retrouver ? Et quelles transformations vont-ils subir ? Une fresque foisonnante et rigoureuse où l'illusion amoureuse va jusqu'à l'extrême limite de sa réalisation, et où la vérité sort toujours des rêves. 


15/20

Jonathan Coe faisait de partie de mes auteurs "à lire" mais dont je trouvais toujours le moyen de repousser la lecture (je trouve de toute façon TOUJOURS le moyen de ne jamais lire ce que j'ai sous la main). Il aura fallu la lecture commune d'octobre sur Booknode pour enfin me décider... et c'est donc désormais chose faite ! Et pour une première lecture de l'auteur britannique, je suis totalement convaincue.
« Après un silence, Gregory murmura : "Je te demande pardon" d’une voix basse et confuse, et il lui saisit la main. Puis il se pencha pour l’embrasser. " Je ne voulais pas te réveiller, répéta-t-il. Il fallait que je les touche. C’est incroyable…" (elle devina son sourire dans la pénombre de la pièce) "… il y a tellement de vie sous tes paupières pendant que tu dors ; je voyais ça. Et j’ai voulu toucher ça ; j’ai senti ça au bout de mes doigts." »
La maison du sommeil est un roman complexe à l'histoire mystérieuse et à la structure intrigante. Grâce à sa construction très travaillée, Coe nous fait jongler d'une époque à une autre (passant des années 1983-84 à l'année 1995), enchaîne les stades du sommeil pour découper son roman (état de veille, stade 1, stade 2, stade 3, stade 4 et sommeil paradoxal) et manie habillement les mises en abîmes. On est pris dans la toile, intrigué par les histoires de tous ces protagonistes dont on découvre au fur et à mesure le passé et le présent avec toutes les liaisons qu'ils peut exister entre les deux temps... et entre les différents personnages. Car c'est un aspect du roman que j'ai beaucoup aimé : cette habileté à tout mélanger, à établir des connexions entre chaque élément, aussi insignifiant qu'il puisse être. Du coup, si le déroulement de l'histoire m'a semblé un peu difficile à suivre au début, une fois prise dedans, j'ai vraiment apprécié ma lecture.
« Le dormeur est démuni, impuissant. Le sommeil met les plus puissants à la merci des plus faibles. »
J'ai aimé découvrir les liens entre ces morceaux de plusieurs vies, comment le passé explique le présent dans les parties de 1996, comment les personnages que l'on découvre en 1984 ont évolué une dizaine d'années plus tard. Et si l'histoire et d'autant plus intéressante à suivre, c'est parce que Jonathan Coe nous propose un récit dans lequel les différents personnages ont des psychologie établies avec beaucoup de finesse et de maîtrise. L'amoureux transit, la narcoleptique, l'excentrique, le savant fou, ils sont tous fascinant à découvrir, dans leurs personnalités, leurs névroses, leur certitudes, leurs rapports aux choses et à eux-mêmes. J'ai adoré le personnage de Terry, déjà pour ses transgressions constantes sur le cinéma, et puis pour ce côté ironique que l'auteur utilise si bien à travers ce personnage. Jonathan Coe ne se gêne pas pour donner à sa plume un ton grotesque dans les choses dont il cherche à se moquer ouvertement. Et j'ai trouvé les passages concernés (l'histoire de l'article mal corrigé, le séminaire des médecins) vraiment amusants, je les attendais avec impatience à chaque fois.
« "Je sais que c’est un cliché de dire que les films sont les rêves d’un inconscient collectif, commença Terry. Mais il m’a semblé que personne n’avait jamais vraiment pénétré cette idée à fond. Il y a diverses sortes de rêves, n’est-ce pas ? De même qu’il y a des films d’horreur, qui correspondent aux cauchemars, et des films cochons, comme Gorge profonde et Emmanuelle, qui correspondent aux rêves érotiques." Il prit une lampée de son chocolat sirupeux, en s’enflammant pour son sujet. "Et puis il y a les remakes, les histoires qu’on se raconte encore et encore, et qui correspondent aux rêves récurrents. Et il y a les rêves consolateurs, visionnaires, comme Horizons perdus ou Le Magicien d’Oz. Mais lorsqu’un film est perdu, qu’on ne le montre plus, que les copies sont introuvables, que personne ne les voit plus jamais, c’est la plus belle sorte de rêve. Parce que c’est peut-être le rêve le plus sublime qu’on ait fait dans sa vie, mais qui s’efface quand on se réveille, et dont quelques secondes plus tard on ne se rappelle aucun détail." »
Avec son histoire alambiquées, ses coïncidences qui ne semblent jamais tout à fait en être, et son ton souvent ironique, La Maison du sommeil est un roman maîtrisé que j'ai aimé découvrir. Coe a de la suite dans les idées et sait parfaitement où mener son lecteur. Si on peut lui reprocher un traitement peu approfondi du thème du sommeil (on apprend deux trois choses, c'est vrai, mais le sujet reste superficiel) et une intrigue qui se devine sur la fin, on prend tout de même plaisir à en lire le dénouement qui, fait à partir de documents annexes (lettre, retranscription) est une façon originale de clôturer cette histoire. Quoiqu'il en soit, ce n'est sûrement pas le dernier roman que je lis de l'auteur.




samedi 26 septembre 2015

[Livre] La fille qui avait de la neige dans les cheveux de Ninni Schulman

Points - Policier, 2014
451 pages
Date du parution originale : 1 juillet 2010
Titre VO : Flickan med snö i håret

De retour dans sa ville natale après son divorce, Madga décroche un poste au journal local. Entre fermetures d’écoles et expositions canines, il ne se passe pas grand-chose, à Hagfors. Quand Hedda, 16 ans, est portée disparue, Magda s’empare de l’affaire. Malgré les mises en garde de la police, elle remonte la piste d’un réseau de prostitution. Va-t-elle pouvoir coincer les coupables seule ?

15/20

Ce n'est plus un secret, ce genre de long titre énigmatique m'intrigue, surtout lorsqu'il est combiné à la promesse d'un polar... suédois qui plus est ! Pour accompagner l'automne et ses chutes de température, autant aller faire un petit tour dans la froideur des polars nordiques.
« Il lui avait suffi d'ouvrir le coffre de la voiture, de défaire le nœud autour des chevilles frêles de la jeune fille et de lui montrer la maison avec un geste de la main pour qu'elle se mette à avancer. Ni pleurs, ni protestations. Elle avait peut-être déjà abandonné tout espoir. Ou alors elle n'avait plus la force de hurler. »
Nous voilà donc plongés au cœur du comté de Värmland, en Suède, dans la petite commune d'Hagfors. Magdalena, une journaliste qui vient de subir un divorce difficile, retourne dans sa ville natale avec son jeune fils pour s'y installer. Elle n'a qu'une idée, prendre le large et partir le plus loin possible de son ex-mari. À Hagfors, elle connait tout le monde et tout le monde la connait. Elle redécouvre les lieux et personnes qui accompagnent ses souvenirs d'enfance. Et surtout, la voilà plongée en plein milieu d'une affaire bien mystérieuse : la disparition d'une jeune adolescente de seize ans. Elle qui pensait trouver la tranquillité retrouve bien vite ses réflexes de journaliste et entreprend de mener l'enquête, parallèlement à la police...
« Le coup partit. La fille tomba en avant, son visage disparut dans la neige fraîche. Plus aucun mouvement. Une sorte de gargouillis indéfinissable sortit de sa bouche.Il retourna à sa voiture, à grandes enjambées pénibles, pour ne pas voir le sang qui coulait à flots du cou de la jeune fille. Pas de panique, se dit-il. Rester calme avant tout. »
La fille qui avait de la neige dans les cheveux est un roman policier au style simple et à l'histoire bien construite. On suit tour à tour Magdalena notre protagoniste, Gunvor, Bengt, des membres du son voisinage et anciens amis, Petra et Christer, différents membres de la police, bref ! Tout le petit microcosme d'Hagfors soudain bousculé par la disparition d'Hedda, la nuit du Nouvel An. Les différents personnages ont tous le droit à plusieurs chapitres ce qui permet de finir par bien les connaître et par donner une place bien définie à chaque d'entre eux : ils servent tous l'histoire à leur manière, il n'y a aucun figurants. 
Cependant, il arrive que cette abondance de personnages perde un peu le lecteur au début. Il faut assimiler un grand nombre d'informations dès le départ pour s'y retrouver et ce n'est pas toujours simple à retenir. Malgré tout, on s'y fait assez vite.
« Et l’idée de voir la photo de sa fille exposée dans les journaux et à la télévision le rendait malade. Depuis son tout jeune âge, il détestait être l’objet de compassion. À présent, tout le monde allait le plaindre, secouer la tête d’un air grave, tenter de le consoler. La pitié. Des parents irresponsables, voilà ce qu’on dirait d’eux. »
Le style simple de l'auteur permet à la lecture d'être agréable. Certaines conversations entre les personnages m'ont paru parfois un peu forcées, manquant de naturelles, mais c'est un détail sur lequel on passe rapidement.
Malgré un dénouement un peu rapide,  l'intrigue est bien tissée, les derniers chapitres accélèrent le rythme de l'histoire et se lisent d'une traite. J'ai parfois eu un peu de mal à comprendre les décisions prises par certains personnages, que j'ai trouvé insensées, voire dangereuses, notamment au sein de la police, et qui m'ont semblé de simples prétextes à un peu d'intrigue. On passe vite l'éponge dessus, l'histoire se rattrapant bien sur la fin. Des petits moments de suspense plus aboutis que d'autres viennent également ponctuer l'histoire et sèment le doute dans l'esprit du lecteur. On a envie de voir comment les choses vont rentrer dans l'ordre et qui sera  le fameux coupable. 

Pas un coup de cœur, mais une lecture prenante et agréable qui me donne sans problème envie de lire un prochain roman de l'auteure suédoise.




jeudi 10 septembre 2015

[Livre] Réparer les vivants de Maylis De Kerangal

Gallimard - Folio, 2015
300 pages
Date de parution originale : 2 janvier 2014

Réparer les vivants est le roman d'une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d'accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l'amour.

18/20

Je ressens cette impression de vouloir dire plein de choses tout en ne sachant pas comment les formuler. Ce roman m'a pris par surprise, il m'intriguait mais je n'en attendais rien. Je ne m'attendais pas à ce que son histoire me percute aussi violemment.

Lire les premières pages de Réparer les vivants, c'est accepter d'être pris dans l'engrenage, accepter de devenir spectateur, heure après heure, du chamboulement de nombreuses vies, du processus incroyablement complexe du don d'organes et de la transplantation cardiaque. 
« Ils sont l'ombre d'eux-mêmes aurait-on dit pour les décrire, la banalité de l'expression relevant moins de la désagrégation intérieure de ce couple que soulignant ce qu'ils étaient encore le matin même, un homme et une femme debout dans le monde, et à les voir marcher côte à côte sur le sol laqué de lumière froide, chacun pouvait saisir que désormais ces deux-là poursuivaient la trajectoire amorcée quelques heures auparavant, ne vivaient déjà plus tout à fait dans le même monde que Cordélia et les autres habitants de la Terre, mais effectivement s'en éloignaient, s'en absentaient, et se déplaçaient vers un autre domaine, qui était peut-être celui où survivaient un temps, ensemble et inconsolables, ceux qui avaient perdu un enfant. »
On vit l'histoire au côté de personnages avec lesquels l'empathie ne se fait pas attendre. Dès le début, on est pris dans la toile. On nous les présente tous, leur nom d'abord, puis leur vie, par des anecdotes, ces détails qui semblent insignifiants et, au contraire, ces autres détails qui font tout. 
Et puis, on nous présente également le côté plus médicalisé de l'événement. Les formalités, les processus, les opérations. Le mécanisme alambiqué de reconstruction d'un corps par un autre. On en apprend beaucoup, mais, et c'est un aspect du roman que j'ai beaucoup apprécié, l'auteur veille à ne jamais faire un constat froid et médical de la situation. Il y a une facette très humaine dans cette histoire. C'est un drame pour certains, une lueur d'espoir pour d'autres, et tous restent humains et c'est avec profondément d'humanité que le sujet est traité. 
« Si c'est un don, il est tout de même d'un genre spécial, pense-t-elle. Il n'y a pas de donneur dans cette opération, personne n'a eu l'intention de faire un don, et de même il n'y a pas de donataire, puisqu'elle n'est pas en mesure de refuser l'organe, elle doit le recevoir si elle veut survivre, alors quoi, qu'est-ce que c'est ? La remise en circulation d'un organe qui pouvait encore faire usage, assurer son boulot de pompe ? »
Si l'écriture de Maylis de Kerangal me laissait songeuse au début par sa nature très dense (de longues phrases aux nombreuses propositions qui s'étirent inlassablement, pouvant même, parfois, faire la taille d'une page entière), ce style effréné nous entraîne sans relâche dans ces quelques jours décisifs avec une poésie et un sens réflexif qui m'ont beaucoup impressionnés. L'écriture est consistante mais on s'y noie allègrement.
« Un pan de sa vie, un pan massif, encore chaud, compact, se détache du présent pour chavirer dans un temps révolu, pour y chuter, et disparaître. Elle discerne des éboulements, des glissements de terrain, des failles qui sectionnent le sol sous ses pieds : quelque chose se referme, quelque chose se place désormais hors d'atteinte - un morceau de falaise se sépare du plateau et s'effondre dans la mer, une presqu'île lentement s'arrache du continent et dérive vers le large, solitaire, la porte d'une caverne merveilleuse est soudain obstruée par un rocher -; le passé a soudain grossi d'un coup, ogre bâfreur de vie, et le présent n'est qu'un seuil ultramince, une ligne au-delà de laquelle il n'y a plus rien de connu. La sonnerie du téléphone a fendu la continuité du temps, et devant le miroir où se fixe son image, les mains cramponnées au lavabo, Marianne se pétrifie sous le choc. »
Réparer les vivants est de ces romans qui frappent, tant par leur sujet qui mérite d'être abordé que par la façon dont ceux-ci sont traités. Le réalisme qui se dégage de l'histoire est tel, que j'en ai souvent pleuré, heurté par la sincérité des mots que j'avais sous les yeux, par la violence et la douleur de la perte, la difficulté d'accepter un processus comme le don d'organes (que ce soit pour les proches du donneurs ou pour le receveur d'ailleurs). 
Cette lecture commune du mois de septembre sur Booknode est un vrai livre coup de poing. Il m'a touché, m'a fait réfléchir et va me rester à l'esprit un moment.



samedi 5 septembre 2015

[Film] Much Loved de Nabil Ayouch

Marocain, Français - 1h44
Sortie en France le 16 septembre 2015
Avec : Loubna Abidar, Halima Karaouane, Asmaa Lazrak

Marrakech aujourd'hui. Noha, Randa, Soukaina, Hlima et les autres vivent d’amours tarifés. Ce sont des putes, des objets de désir. Les chairs se montrent, les corps s’exhibent et s’excitent, l’argent circule aux rythmes des plaisirs et des humiliations subies. Mais joyeuses et complices, dignes et émancipées dans leur royaume de femmes, elles surmontent la violence d’une société marocaine qui les utilise tout en les condamnant.

16/20


Je connaissais déjà Nabil Ayouch à travers son premier film, Ali Zaoua, prince de la rue, que j'avais eu la chance de voir au cinéma avec mon collège et qui avait été un énorme coup de coeur et aussi, du haut des mes douze ans, un de mes premiers  films étrangers en VO. On ressentait déjà la volonté du réalisateur de dénoncer une société injuste, dénigrant les plus démunis. C'est tout à fait ce que l'on retrouve dans Much Loved, à travers, cette fois, le sujet de la prostitution au Maroc.



Nabil Ayouch prend le parti de montrer cette prostitution connue de tous, mais qui reste un sujet tabou dans le pays, avec une véracité percutante. Le scénario, écrit en présence et grâce aux témoignages de quatre jeunes femmes, nous plonge en plein dans le calvaire vaincue au quotidien par des milliers de jeunes filles marocaines. Rien n'a été modifié, tronqué, voire même édulcoré. Le film est fort car il ne déforme rien et colle habilement à une réalité qu'il confronte au regard du spectateur, occidental ou oriental d'ailleurs. Car si le film s'adresse à un public marocain au premier abord, il est également frappant de le regarder d'un autre point de vue. La prostitution des jeunes femmes étant, après tout, un sujet mondial qui ne se borne pas aux frontières d'un pays.

Le propos du film se base donc sur le quotidien de ces jeunes femmes à qui ont promet un avenir lumineux et qui se retrouvent piégées dans le labyrinthe sinueux de la prostitution, parfois même alors qu'elles rentrent à peine dans l'adolescence. On sent la difficulté de se sortir d'un tel système, la violence à laquelle elles courent le risque d'être confrontées en permanence, le rejet des gens face à leur mode de vie. Il y a d'ailleurs une certaine hypocrisie dans cette société qui accepte que le monde de la prostitution existe, mais qui cherche absolument à la taire. Ainsi, le film montre les dessous de cet univers sans chercher à en cacher aucun aspect. De la pornographie, à la violence des gestes, des paroles en passant par la dépravation à laquelle ces jeunes femmes se retrouvent obligée, le film vise en plein dans le mille pour heurter les gens... et pour déranger ! On comprend sans mal pourquoi le film a tant fait polémique, notamment au Maroc où il est interdit de diffusion et où les actrices ont reçu de nombreuses menaces de mort...

Les actrices (et acteurs) du film ne déméritent pas en effet, ils sont très bons dans leur rôle, se glissent à la perfection dans les personnages de ces jeunes femmes (et de ces jeunes hommes homosexuels également, puisque le film aborde aussi cet aspect) en quête d'un avenir plus coloré. L'actrice principale, Loubna Abidar m'a beaucoup impressionnée. Dans le film, mais également lors de la projection à laquelle elle assistait, dans son discours et dans les répercussions que son rôle a eu sur sa vie. Elle mérite amplement le prix d'interprétation féminine du FFA.

Avec un véritable sujet tabou qui mérite d'être abordé, Much Loved n'est pas un documentaire mais une fiction, qui ne pouvait cependant que faire du bruit. J'ai bien cru que le film finirait par me passer sous le nez ; grâce à mon manque d'organisation, j'ai failli le louper plusieurs fois... mais j'ai finalement réussi à me glisser in extremis à la dernière projection lors du festival ! Gagnant du Valois d'or, il aurait été dommage de le rater, Much Loved est sans doute le film qui, durant cette semaine du FFA, m'aura le plus marqué.