mercredi 1 avril 2015

[Livre] Héloïse, ouille ! de Jean Teulé

Juilliard, 2015 - 336 pages
Date de parution originale : 2015

À la fin de sa vie, Abélard écrivait à Héloïse : « Tu sais à quelles abjections ma luxure d'alors a conduit nos corps au point qu'aucun respect de la décence ou de Dieu ne me retirait de ce bourbier et que quand, même si ce n'était pas très souvent, tu hésitais, tu tentais de me dissuader, je profitais de ta faiblesse et te contraignais à consentir par des coups. Car je t'étais lié par une appétence si ardente que je faisais passer bien avant Dieu les misérables voluptés si obscènes que j'aurais honte aujourd'hui de nommer. » 
Depuis quand ne peut-on pas nommer les choses ? Jean Teulé s'y emploie avec gourmandise.

16/20

La parution d'un nouveau roman de Jean Teulé attise toujours ma curiosité. Outre le plaisir de voir l'auteur un peu partout faire la promo de son livre (l'homme est sympathique et il est vraiment plaisant à écouter lorsqu'il parle de littérature, qu'il s'agisse des ses propres écrits ou de ceux d'un autre), il est toujours amusant de découvrir dans quelle époque ou fait divers l'auteur va encore nous transporter.

Sorti début mars, le roman nous plonge en plein XIIe siècle et nous propose la célèbre histoire d'Héloïse et Abélard. Cette romance historique se retrouve brusquement remis au goût du jour par la plume de l'auteur décidément très inspiré. La grivoiserie est au rendez-vous pour ce dernier roman !
« — Tu as une drôle de démarche, ce soir, Héloïse, s'étonne son oncle. Que t’arrive-t-il ? — C’est d’étudier avec maître Abélard qui me fait ça... — Oui, mais est-ce que ça rentre ? voudrait savoir le tuteur.  — Oui, oui, ça rentre. Plus facilement que cela aurait été avec d’autres en tout cas... »
Si le style sonne parfois graveleux, on a pourtant du mal à trouver ça réellement grossier. Bien sûr, Teulé manie à la perfection le licencieux, mais derrière son langage si fleuri se cache une poésie un brin excessive et délurée absolument jubilatoire. Teulé sait jouer avec les mots et il prend un grand plaisir à le faire.
L'association se fait avec un style mélangent le langage classique de l'époque avec de temps à autres, du parlé d'aujourd'hui. Le résultat est très drôle et fonctionne parfaitement. Le décalage surprend mais ne dérange jamais, c'est fait avec précision.
« Leurs mains droites, allant vers l’une vers l’autre, se rejoignent et tournoient dans l’air, phalanges emmêlées.  C’est l’abandon de tout moi entre ces doigts et l’aube des vols quand un index croise un majeur qui l’enroule puis le laisse lentement s’échapper pour le retrouver sous la paume glissant autour du poignet. Loin du remous gris des mers de chiffres et de phrases inutiles, c’est clair et sinueux comme de l’eau silencieuse. Leurs deux mains se font très longuement l’amour en suspension. Au frais oubli de ce qui les exile, voluptueuses, elles épatent les amants eux-mêmes :      — Oh, là, là !.. »
J'ai beaucoup aimé découvrir la romance d'Héloïse et Abélard. La connivence entre les deux personnages et la passion furieuse qui les dévore est délectable. Décomplexé et sans-tabous, Teulé s'en donne à cœur joie dans les ébats des deux amants. Loin des représentations très saintes et pieuses qu'on fait d'elle, la jeune Héloïse que nous propose Teulé au début du roman cache, sous sa longue robe et ses cheveux blonds, un esprit sacrément déluré et qui n'est pas en reste d'idées pour s'occuper durant les longues leçons de son maître... 
L'histoire a beau être célèbre, je ne la connaissais que de nom. Après ma lecture, je suis allée fouiller un peu et je suis toujours aussi agréablement surprise en découvrant que, s'il y a une réécriture évidente, Teulé arrive malgré tout à rester dans une justesse historique qui, finalement, est très instructive et nous en apprend beaucoup.
« Parce que des moines furieux le démolissaient tel qu’à coups de pelle, votre mari s’est défenestré. Il s’est forcément écrasé comme une merde mais on ne sait pas où. »
Le roman peut facilement se diviser en deux parties, relativement inégale il faut l'avouer. Si la première partie, avec ses joyeusetés et sa fougue amoureuse se découvre avec amusement, la deuxième partie relatant les déboires monastiques de nos deux amants est un peu plus sérieuse et les longues lettres que s'échangent les deux ou les descriptions de leur vie religieuse sont parfois un brin longuettes. Malgré tout, le roman se lit avec plaisir d'un bout à l'autre et la fin parvient à nous faire quitter le roman avec l'envie de se jeter sur un autre roman de l'auteur. 
L'Histoire à la Jean Teulé, personnellement, je suis loin de m'en lasser.



Héloïse, ouille ! est le quinzième roman de Jean Teulé. L'auteur a présenté son livre durant le numéro de La Grande Librairie du 26 février 2015 ; l'émission est à revoir en replay sur internet. Paru le 5 mars 2015, le roman me permet de valider la consigne n°30 du Challenge de Lecture : Lire un roman sorti en 2015.




2 commentaires:

  1. Le Paraclet d'Héloïse et Abélard est à 8 bornes de chez moi ; je passe devant un jour sur deux :)

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    1. Ah oui, vraiment ? ^^ J'étais curieuse, je suis allée regarder sur internet, c'est bien conservé en fait ! Je ne pensais pas. Je crois que j'ai du confondre avec les ruines de l'Abbaye d'Argenteuil... Faut dire que si les deux amoureux étaient restés en place au lieu d'avoir la bougeotte, je ne mélangerais pas tout :p

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