vendredi 8 mai 2015

[Livre] Si le rôle de la mer est de faire des vagues... de Kim Yeon-Su

Philippe Picquier, 2015 - 267 pages
Date de parution originale : 2012
Titre Vo : 파도가 바다의 일이라면 (Si la vague était le fruit de la mer)

Un jour, Camilla reçoit six cartons de vingt-cinq kilos qui contiennent toute son enfance. Entre un ours en peluche et un globe terrestre, la photo d’une jeune fille, petite et menue : celle de sa vraie mère avec un bébé dans les bras. Camilla a été adoptée peu après sa naissance par un couple d’Américains. Aujourd’hui elle a vingt et un ans et décide de partir en Corée à la recherche de sa mère.
Au fil d’une enquête aux multiples bifurcations, chacun livre sa version de l’histoire bouleversante de cette lycéenne de seize ans devenue mère, les rumeurs, les secrets, les tragédies, le mystère de l’identité du père. Peu à peu Camilla remplit les blancs de son passé, qui se confond avec celui de cette petite ville portuaire où elle est née, et toute sa vie s’en trouve changée.
Un roman riche en harmoniques, à l’imaginaire poétique et émouvant, enraciné dans la réalité sociale de la Corée d’aujourd’hui.


15/20

Je lis peu de littérature asiatique, connaissant surtout Haruki Murakami et les quelques romans que j'ai lu de lui et qui reposent sagement dans ma bibliothèque. Pourtant, j'aime beaucoup les romans de ce coin du monde. J'aime leur ambiance poétique, souvent très marquée par les vieilles croyances ou légendes et dont l'histoire est ancrée dans un mode de pensée qui diffère vraiment du notre et pousse les gens à s'interroger sur eux-même. Les récits qu'ils livrent sont souvent pleins de sens et sous le joli de titre de Si le rôle de la mer est de faire des vagues se cache en effet une belle histoire de vie.
« La solitude nous rend-elle plus faibles ? J’en doute, car j’ai toujours cru que lorsque je me sentais seule, c’était justement le moment de devenir plus forte. »
Dans ce court roman de moins de trois cents pages, l'auteur sud-coréen Kim Yeon-Su nous parle de Camilla. Jeune femme d'une vingtaine d'années d'origine coréenne, elle a perdu sa mère adoptive peu de temps auparavant. Le remariage imminent de son père adoptif lui livre un bien triste constat : elle est désormais seule.  Munie d'une photo trouvée dans un vieux carton, elle décide de se lancer sur la traces de sa mère biologique : direction Jinnam, petit ville côtière en Corée. Sa ville natale.
« Un verre vide est là pour qu’on le remplisse, une chanson est faite pour être chantée, une lettre doit être livrée à son destinataire, et moi je veux retourner dans ma vraie maison, dans les bras de ma véritable mère. »
Une véritable quête identitaire voit le jour au fil des pages. Car pour se construire, Camilla a besoin de savoir qui elle est vraiment. Elle doit découvrir le passé de sa mère, Ji-eun, et les zones d'ombre qui entourent sa naissance, une vingtaine d'années plus tôt.
Les rencontres s’enchaînent, les versions de l'histoire qui entoure Ji-eun aussi. Le mystère plane jusqu'au bout, ponctué ça et là de révélations qui renforcent le côté obscur du passé des deux jeunes femmes.
« Toute histoire secrète contient en elle-même la propriété de se révéler, comme un cadavre jeté à la mer. Tout ce qui est enfoui remonte à la surface, porté par sa capacité à flotter. La vérité finit toujours par se faire jour, par un effet de levier activé par les désirs de chacun. »
Le roman m'a touchée par sa profondeur et ses multiples réflexions. Le passé peut être un poids très lourd, et chez Camilla, les transformations sont fulgurantes. On voit la jeune femme évoluer au fur et à mesure que les révélations sur sa mère affluent. L'écriture pleine de poésie de l'auteur se suit avec délectation (j'ai d'ailleurs eu du mal à ne sélectionner que quelques extraits tant le roman regorge de petites perles), Kim Yeon-Su a un style très éthéré, il jongle avec les métaphores, les poèmes et le sens profond des choses avec une facilité déconcertante.
« Quand arrive une catastrophe, une fois que c’est terminé, on arrive toujours à savoir quand ça a commencé. Un effondrement est toujours précédé d’une fissure, mais on n’y prête attention qu’une fois que la destruction a eu lieu. Dans ce sens, n’est-il pas exagéré de dire que le premier signe de faiblesse ne se manifeste qu’après l’anéantissement ? »
L'histoire souffre cependant d'une construction assez chaotique. Le style ne plaira pas a tout le monde, c'est certain. On a parfois un peu de mal à se situer dans le temps, à s'accrocher au fil qui maintient l'histoire en place. Les changements de lieux, les ellipses, le découpage selon différents points de vue (seul la première partie est du point de vue de Camilla) rendent parfois les parties de l'histoire assez inégales, la dernière notamment qui, si elle est riche en révélations et permet de mettre les pièces du puzzle en place, semble un peu éloignée du fil conducteur qui suit la quête de Camilla.
« Si le rôle de la mer est de faire des vagues, mon rôle à moi est de penser à toi. Depuis que nous avons été séparées, je ne t’ai jamais oubliée, pas même un seul jour. »
L'histoire et son sujet sont forts. Le roman se lit avec attention, on est pris dans la recherche de Camilla sur ses origines grâce à un coup de plume remarquable qui allie avec doigté passé et présent, légende et réalité. 
De quoi avoir envie de lire des auteurs asiatiques un peu plus souvent !


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