jeudi 3 mars 2016

[Livre] En un monde parfait de Laura Kasischke

Lgf - Le livre de poche, 2011
352 pages
Date de parution originale : 6 octobre 2009
Titre VO : In a Perfect World

Jiselle, la trentaine et toujours célibataire, croit vivre un véritable conte de fées lorsque Mark Dorn, un superbe pilote, veuf et père de trois enfants, la demande en mariage. Sa proposition paraît tellement inespérée qu'elle accepte aussitôt, abandonnant sa vie d'hôtesse de l'air pour celle, plus paisible croit-elle, de femme au foyer. C'est compter sans les absences répétées de Mark, les perpétuelles récriminations des enfants et la mystérieuse épidémie qui frappe les États-Unis, leur donnant des allures de pays en guerre. L'existence de Jiselle prend alors un tour dramatique...
(Source : LGF - Le livre de poche)


17/20


Il n'y a rien d'extravagant ou de surfait dans l'écriture de Laura Kasischke, tout est écrit avec la justesse la plus totale. C'est ce qui me plaît tant dans ses histoires, cette capacité à retranscrire le banal tout en essayant de brusquer la normalité de l'univers raconté. Il y a un toujours un léger voile de fantastique qui recouvre ses histoires. Une impression inquiétante, dérangeante qui prend corps dans le comportement d'un enfant, dans une mystérieuse épidémie, dans l'éloignement d'un époux.

« Sa mère lui avait demandé : "Quel genre de femme consent à épouser un homme qu'elle connaît depuis trois mois ? Un homme qui a trois enfants? Un homme dont elle n'a pas rencontré les enfants ? "
Si Jiselle avait été un type différent de fille ou de femme, elle aurait pu répondre : "Le genre de femme que je suis maman" ; mais même au temps de son adolescence, alors que sa meilleure amie lançait communément à la tête de sa propre mère "Salope, je te déteste!" Jiselle présentait des excuses à la sienne pour n'avoir pas dit "s'il te plaît" en redemandant de la salade.
Au lieu de cela, elle répondit : "Je l'aime, maman". Sa mère eut un reniflement dégoûté. »

Pas d'apocalypse fulgurante pour cette histoire aux airs de fin du monde. L'auteur nous plonge lentement dans l'apparition de ce virus étrange, sans pour autant en faire le centre de son histoire. J'aime énormément la façon dont elle utilise cet élément en arrière-plan, comme une sorte de cassure dans l'univers de Jiselle, la protagoniste, et de ses aspirations d'épouse, de mère, de monde parfait, et  préférant mettre en avant des sujets de réflexion tels que les relations humaines, les réactions face à l'adversité, l'adaptation à l'inconnu en les exposant avec un tel réalisme que c'en est fascinant.

« Jiselle reposa le journal intime sur le canapé, là où elle l'avait trouvé, et sortit avec l'arrosoir. Il faisait déjà trente degrés, mais une brise matinale soufflait de l'ouest, apportant avec elle les senteurs du ravin. Elle s'en emplit les poumons, puis s'agenouilla pour regarder sous les pierres qui séparaient le jardin de la pelouse. Cela faisait un mois qu'elle était épouse et belle-mère.Là, dans un coin d'ombre, se pressait un cercle de violettes, bleu pâle et mauves. Menues, tendres, soyeuses, papillotantes. Si elles étaient douées de la parole, se dit Jiselle, elles glousseraient de rire.Elle les avait remarquées quelques jours plus tôt en passant le râteau. Cette tache de couleur au milieu des feuilles mortes délavées et autres débris de l'été avait accroché son regard, et elle s'était accroupie pour les compter (vingt-trois, vingt-quatre, vingt-cinq) avant de les recouvrir.Ces violettes avaient réussi à traverser canicule et sécheresse. L'été le plus chaud et le plus sec depuis un siècle. Est-ce qu'elles ne méritaient pas des égards particuliers ? Si le bon Dieu ne les leur témoignait pas, il lui revenait à elle de s'en charger.Dès lors, sortant chaque jour avec son arrosoir, Jiselle était invariablement surprise de trouver toujours en vie ces petites fleurs nichées dans leur ombreuse fissure. »

L'écriture de Laura Kasichke a la faculté de faire découvrir l'humain sous une dimension tellement différente et avec une telle profondeur que j'en suis toujours bouleversée. Outre la beauté du style, ses mots poussent à la réflexion, trouvent le lecteur et le happent pour ne plus le lâcher jusqu'à la fin du livre. C'est un sentiment que je retrouve dans très peu de romans et que peu d'auteurs arrivent à me faire ressentir. Laura Kasischke fait mouche à chaque fois, ça ne rate jamais, et, à travers sa plume, il est à la fois bouleversant, cocasse et perturbant d'observer le monde des personnages basculer.





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